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14 juillet 2024

Ce qu’il faut retenir de la Jewelry Week – Paris, Juin 2024

Beauté des designs, excellence des pierres, prouesses techniques… Chaque saison, les nouvelles pièces de haute joaillerie présentées suscitent l’émerveillement. Mais on oublie un facteur : la conception et la fabrication.

Par Sandrine Merle.

 

 

Chopard, Cartier, Pomellato, Messika, Tasaki… 95% des nouvelles pièces de haute joaillerie présentées (selon l’estimation d’un professionnel), ont été conçues en CAO (Création assistée par ordinateur). Un sujet encore tabou dans ce secteur associé au travail fait à la main par des artisans héritiers d’une longue tradition et reconnus dans le monde entier. Un travail auquel les acheteurs restaient jusqu’à présent très attachés… Autre raison à l’origine de ce tabou : la CAO a d’abord été réservée aux pièces bon marché fabriquées à la chaîne en Asie. La communication sur la CAO est donc rare ; seules quelques maisons ancestrales comme Cartier et Boucheron ainsi que la toute jeune Messika (cf vidéo) intègrent ce type d’images dans les savoir-faire. Chez les autres, elle n’est pas forcément cachée, plutôt passée sous silence ou euphémisée comme chez Louis Vuitton qui distingue, dans son dossier de presse, « les heures de mise au point et de conception » et « les heures d’ouvrage ».

 

La main et l’artisanat menacés ?

Souvent critiquée ou mal jugée, on ignore ce qu’implique vraiment la CAO. « Quand elle est arrivée, j’ai réalisé que les gens qui comme moi travaillaient à l’établi seraient à terme considérés comme incompétents et qu’ils seraient remplacés par des incompétents mais capables de manier l’informatique », explique un ancien artisan devenu maestro ès CAO. L’informaticien venu de l’aéronautique ou de l’automobile s’est en effet emparé du process de conception et de fabrication ; il a pris une grande partie de la tâche de l’artisan qui façonne le bijou à partir de plaques et de fils d’or avec scies et limes. Grâce à un logiciel, l’informaticien modélise en 3D le bijou : il obtient sa structure avec des côtes, des trous et des griffes pour les pierres. Ce fichier est finalement imprimé en cire puis transposé en or, ce que l’on appelle la fonte. À ce stade-là, on re-rentre dans le processus traditionnel : l’artisan aux mains noircies gratte la fonte pour enlever les strates laissées par l’impression 3D, il lime, il les pierres et polit l’or.

 

Une CAO incontournable

L’apparition de la CAO a coïncidé, au début des années 2000, avec le réveil des joailliers rachetés par les groupes internationaux et avec l’ouverture de nouveaux marchés (Russie, Chine). Une aubaine car à ce moment-là, ils ont dû produire plus et plus vite y compris de la haute joaillerie. Pour rivaliser avec leurs concurrents, ils sont entrés dans une course à la prouesse technique avec des design de plus en plus sophistiqués comme ceux présentés cette saison : des volutes spiralées, répétitives et cadencées chez Chaumet, des enchevêtrements rectilignes chez Louis Vuitton, des formes restituant la sensation de l’eau chez Boucheron, etc. Tout est extrêmement fluide grâce à des nano emmaillements. Attention : l’homme aurait tout à fait été capable de faire tous ces bijoux mais dans un temps infiniment plus long et donc à des prix stratosphériques et inconcevables, même pour une pièce de haute joaillerie. À l’inverse précise un joaillier, « il est plus rapide de faire une tresse avec trois fils d’or à la main car elle ne nécessite aucun travail de grattage et de polissage contrairement à celle obtenue en impression 3D, toujours piquée et striée. »

 

L’ultra perfection a-t-elle encore un sens ?

La CAO a entraîné une quête de perfection et de précision comparable à celle de l’horlogerie. On veut des angles droits à 45° au centième de millimètre près, ce que la main de l’homme ne pourra jamais atteindre avec sa scie. Les bijoux qui sortent des ateliers sont auscultés à la binoculaire x40 contre x10 il y a quelques années. Projeté sur un écran de 1×2 mètre, le nano interstice que l’œil ne percevra évidemment pas, semble suffisamment grand pour qu’on puisse y glisser un doigt ! Aucune anomalie même infinitésimale ne doit heurter l’œil, on cherche l’irréprochable. Et c’est là que le bât blesse : cette exigence déconnectée de la réalité mène trop souvent vers le symétrique parfait, l’aseptisé, le figé. Assez de visages photoshopés, de mannequins créés par l’IA! Ce qui est beau à l’écran ne l’est pas forcément dans la réalité. « À force d’effacer l’accident des matières, on a supprimé dans l’objet le pétillement de l’inattendu », écrit ainsi Alain Damasio en parlant de l’Apple Store Silicon Valley (cf Vallée du Silicium). On a quitté le monde du charme, celui qui fait l’âme du bijou ancien réalisés par Froment-Meurice, Vever et les autres. Serait-ce la raison de cet indicible ennui éprouvé, je l’avoue, devant ces collections ?

 

Le challenge est maintenant de trouver un équilibre grâce à des informaticiens qui seraient capables de réaliser un bijou à la main ; c’est la condition sine qua non. Il en existe déjà, certaines maisons ont déjà recours à eux.

 

Image en bannière : Messika – Collier  « White Midnight Sun » en or et diamants dont un central de 3,55 carats

 

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