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02 octobre 2022

Urgent : recherche polisseuses et polisseurs !

Les maisons de joaillerie souffrent d’un manque cruel de main-d’œuvre, surtout pour le polissage. Il y a urgence car c’est une étape cruciale dans la fabrication du bijou.

Par Sandrine Merle.

 

 

Il est évident pour tout le monde qu’un bijou doit briller, que l’or doit être parfaitement lisse au point qu’on puisse se mirer dedans. Pour obtenir ce résultat, l’étape du polissage s’avère aussi délicate que cruciale. En réalité elle est répétée à maintes reprises, à chaque fois qu’un artisan (joaillier, sertisseur, graveur, etc.) intervient car réaliser un bijou est un travail d’équipe où ce que fait l’un a toujours un impact sur ce que font les autres. Et vice et versa. « Un polissage raté peut complètement ruiner un bijou », résume le joaillier Lorenz Bäumer.

 

 

Un métier exigeant

« En réalité, personne n’a idée de la complexité de ce métier, de la rigueur et même de l’abnégation nécessaires vis-à-vis du métal pour obtenir le résultat escompté », explique Marie Chabrol enseignante à l’Institut de Saumur et qui exerça pendant 20 ans comme polisseuse dans les ateliers parisiens. Sachant que le niveau de qualité exigé aujourd’hui par les grands joailliers, et surtout en haute joaillerie, est fou : tout est contrôlé avec une binoculaire grossissant 50 fois ce qui n’était pas le cas dans les années 70 ! Mieux vaut donc avoir de bonnes méthodes de travail pour polir les angles sans les arrondir, accéder aux coins sous les griffes sans abîmer la pierre sertie, etc. Pas question d’oublier la moindre rayure qui, au final, se verrait comme un nez au milieu de la figure. On comprend pourquoi la polisseuse hurle quand de gros doigts s’approchent de sa pièce sans gant !

 

Un métier très féminin

« Pendant très longtemps, le métier n’a pas été valorisé et a été mal payé », explique Michel Baldocchi directeur de la Haute École de la Joaillerie. C’est un métier répétitif et salissant : on a les doigts et le bout du nez noircis en permanence par les abrasifs mais plus grave, des problèmes respiratoires car même avec des masques, la poussière se faufile partout. « La polisseuse ressemblait à petit ramoneur, on disait que plus elle était couverte de noir, plus le bijou était beau ! », se remémore un artisan avec un ton légèrement ironique. Cela en dit long sur l’atmosphère des ateliers d’autrefois : jusqu’au début des années 2000, ces derniers étaient en effet masculins sauf justement pour le polissage et l’enfilage de perles. « Il fallait avoir de la répartie, de l’humour et du caractère pour s’imposer dans un atelier », se souvient une polisseuse.

 

Un métier gratifiant malgré tout

Polir n’est pas scier ou souder la matière mais l’apprivoiser, jouer avec elle, lui donner le plus bel aspect possible en utilisant les meilleures techniques. Pour Gauthier Morlet, jeune joaillier-sertisseur du collectif Sprague, « les polisseurs à l’œuvre pendant des heures pour obtenir un bijou qui brille de mille feux, ont quelque chose de réellement poétique. » C’est presque sensuel… « Plus les pièces sont techniques et difficiles, plus c’est amusant », affirme de son côté Marie Chabrol. Car c’est encore un travail très manuel où l’on peut jongler avec des dizaines d’outils et qui relève aussi beaucoup du système D. « J’avais remplacé le papier Emeri placé normalement dans la tige de métal fendue du porte-mouche, par un morceau de tissu », continue Marie Chabrol.

 

L’heure est grave

Il n’y a plus de polisseuses et de polisseurs. Au point que les joailliers indépendants se chargent de plus en plus de cette étape… Alors la filière s’organise comme en témoigne ce partenariat de la Haute École de Joaillerie avec Pôle Emploi, qui a permis de préparer avec succès une vingtaine de personnes issus d’autres univers (comme la coiffure) au Certificat de Qualification Professionnelle. Pour Marie Chabrol, « donner des alliances à polir à la chaîne permet de débuter et de gagner en dextérité, mais certainement pas de donner le goût du métier. La solution reste d’enseigner des techniques adaptables afin que l’artisan devienne autonome même sur les pièces les plus complexes. » Ceci posé, il faut s’armer de patience : une dizaine d’années de pratique est nécessaire pour frôler le niveau OJ3 puis trois ou quatre ans de plus pour accéder à OJ4, c’est-à-dire pour devenir Ouvrier Bijoutier Hautement Qualifié. Rendez-vous dans 10 ans !

 

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