Style
24 novembre 2016
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Kazumi Arikawa, président d’Albion Art
Ce marchand et collectionneur japonais, l’un des plus importants au monde, vient d’ouvrir un salon à Paris. Mais c’est à Tokyo qu’il m’a reçue.
Au son de chants grégoriens, Kazumi Arikawa accueille dans ses bureaux de Tokyo, les plus grands collectionneurs, les conservateurs de musée, les historiens et des personnalités. Des photos avec certains d’entre eux, comme Jacques Chirac, attestent du haut niveau de ses interlocuteurs. Et pour cause, ce sexagénaire japonais, possède de somptueuses pièces de joaillerie, parmi les plus belles au monde et principalement françaises. Mais pas question de voir ces merveilles sans se préparer grâce à la cérémonie du thé probablement raccourcie et édulcorée… Face à moi, assis en tailleur dans une pièce complètement tapissée de tatamis, Kazumi Arikawa tente de m’inculquer certains gestes comme tourner plusieurs fois son bol tout en déplaçant avec grâce l’autre main. L’expérience est déconcertante, je suis loin d’être aussi à l’aise que dans les salons de la place Vendôme.
La désinvolture des grands
Kazumi Arikawa me tend les bijoux sans plus de cérémonial. Certains ont une valeur inestimable et pourtant, il ne passe pas de gants blancs pour les manipuler. Comme le faisait Munnu Kasliwal au Gem Palace, quand il sortait ses bijoux indiens et les entassait devant moi sans plus de précautions. Incroyable expérience de tenir entre ses mains ce qui, habituellement, est dans une vitrine de musée. Kazumi Arikawa m’incite à les toucher, à retourner ce pendentif en émail de la Renaissance : Cupidon présente des fesses rebondies en émail. Parmi les bijoux du XIXe, ses favoris, figure la somptueuse broche chardons en diamants de Loeuillard pour Boucheron. Les colliers en émail de Lucien Falize côtoient ceux de la période Art nouveau et de l’incontournable René Lalique. La broche en aigues-marines mentholées et tourmalines vertes de Georges Fouquet est à couper le souffle. Les créations plus récentes de la collection, empreintes de l’excellence des ateliers français, datent des années Art déco.
La beauté au centre de tout
Kazumi Arikawa a découvert la joaillerie lors d’une visite au Victoria & Albert Museum, alors qu’il était marchand d’antiquités japonaises à Londres. Un choc pour celui qui est capable de faire un aller-retour à Paris pour admirer les pièces exceptionnelles d’une exposition, comme ce fut le cas pour celle de Cartier au Grand Palais. Il considère avant tout le bijou comme un moyen de s’affranchir du matérialisme et de se rapprocher du divin. « Je ne m’intéresse finalement ni à l’histoire d’une pièce, ni à sa provenance, ni au symbole de pouvoir ou au statut qu’elle véhicule. Pour moi, tout réside dans sa beauté et sa capacité à créer de l’émotion », explique celui qui dans sa jeunesse a passé deux ans comme moine dans un temple zen. Il est aussi de ceux qui peuvent parler pierres précieuses avec un scientifique comme avec le Dalaï Lama, rencontré il y a quelques années.
La passion des diadèmes
Alors que son affaire est encore de taille modeste, il « croise » un diadème en diamants Fabergé dont le prix correspond à peu près, à la moitié de la valeur de sa collection. Mais il se débrouille pour réunir les fonds… « On sait aujourd’hui qu’il n’en existe que quatre dans le monde, explique-t-il. Cela m’a servi de leçon et j’achète dorénavant sans me préoccuper du prix. Je suis sans doute fou, mais heureusement il y a encore plus fou que moi ! » Selon une experte du marché de la joaillerie, c’est d’ailleurs « lui qui a créé l’engouement pour les diadèmes à partir des années 2000 et fait que certains dépassent aujourd’hui le million de dollars ».
Grand prêteur des expositions
En 2007, lors de l’exposition consacrée au diadème à Tokyo, il prête entre autres celui de la comtesse de Flandre, de l’archiduchesse Isabelle d’Autriche ou encore le modèle Chaumet figurant des ailes de Valkyrie. Sans ses prêts, l’exposition « Parures du pouvoir. Joyaux des cours européennes » qui a eu lieu à Bruxelles la même année, n’aurait pas été ce qu’elle a été. Il a prêté maintes pièces chargées d’histoire et d’émotion comme le pendentif au portrait de Napoléon Ier que ce dernier garda à Sainte-Hélène ou celui plus modeste que l’impératrice Eugénie emporta en exil. Le somptueux collier de Catherine II composé de 26 émeraudes faisait aussi partie de la collection Albion Art. Mais chut… Personne ne sait si ces pièces lui appartiennent encore ou si un acheteur a finalement craqué.
L’histoire avec la France
La clientèle de Kazumi Arikawa étant principalement asiatique et moyen-orientale, il a ouvert un salon en France afin de gagner en visibilité et de recevoir les collectionneurs occidentaux et plus particulièrement, américains. « Ce marchand japonais a fait un travail remarquable de recherche et de préservation des bijoux français, explique en off un acteur du secteur. Un travail que malheureusement personne en France n’est aujourd’hui capable de faire. » Ce qui lui a valu de la part du ministre français de la Culture, en 2007, la médaille de l’ordre des Arts et des Lettres. Respect.