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11 juillet 2017
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En pièces détachées
Contrairement aux idées reçues, plus les bijoux sont réalisés avec des matériaux précieux, moins ils ont de probabilités de traverser le temps.
Contrairement à une peinture ou à une commode en bois, les matériaux d’un bijou ont une valeur intrinsèque. Les pierres peuvent être desserties et l’or peut être fondu pour être vendus. En cause, les divorces, les faillites et les cambriolages, mais pas seulement…
Les aléas de l’air du temps
Non, les bijoux précieux ne sont pas épargnés par les modes et ce n’est pas nouveau : on sait que l’impératrice Eugénie passait son temps à faire démonter ses ceintures, tiares et autres bracelets pour les remettre au goût du jour. Toutes les héritières comme Barbara Hutton ou Daisy Fellowes firent remonter leurs pierres précieuses au gré des tendances. Pour symboliser ce phénomène et la désuétude de la bague de fiançailles formée par un seul diamant dont elle venait d’hériter, la créatrice Agathe Saint-Girons a transféré la pierre sur un collier, mélangée à des améthystes, aigues-marines, etc. Et l’a baptisé, avec humour, « Mon Dieu, mais que vais-je faire du solitaire de ma grand-mère ? ».
Les vicissitudes de l’histoire
Les joyaux de la Couronne de France sont mis aux enchères en 1887 par la toute jeune République, provoquant la perte de chefs-d’œuvre. Pour faciliter la vente, les parures comme celle des feuilles de groseilliers sont éparpillées, les décorations démontées. Les acheteurs, Boucheron, Bapst Frères ou encore Tiffany achèvent de dépecer ceux qui restent pour réutiliser les pierres. Les bijoux des aristocrates prussiennes ont eux aussi été sacrifiés lors de l’envahissement du pays par Napoléon, pour soutenir l’effort de guerre. En échange, on leur a donné des pièces réalisées en fonte noire de Berlin, sans valeur, comme celles que l’on peut voir dans l’exposition « Medusa ». De même beaucoup de plastrons, d’aigrettes somptueuses et de bracelets de bras indiens n’existent plus qu’en photo : après l’indépendance de l’Inde, les maharadjas les ont cédés aux joailliers occidentaux afin de subvenir à leurs dépenses.
La question de la valeur
Quand sa valeur réside à 80-90% dans la matière, le bijou a bien peu de chances de survivre. Ainsi le collier tout en or, la bague ornée d’une pierre centrale exceptionnelle et la rivière en diamants sont les premiers à être vendus en cas de coup dur. C’est ce qui est arrivé au collier Cartier de Doris Duke dont il ne restait que le squelette en platine lors de la vente de 2004 chez Christie’s ! En quelques années, l’acquéreur a remplacé les diamants, ce qui n’est pas toujours possible. Cartier n’a jamais réussi à trouver l’équivalent du diamant jaune de De Beers de 234 carats manquant au collier de Patiala et a dû se résoudre à le remplacer par un oxyde de zirconium.
Pour s’en sortir…
… mieux vaut être une pièce très créative, ciselée, filigranée, ajourée et pavée de micro-diamants. Elle a plus de chances de se transmettre de génération en génération car le design et le temps passé par l’artisan représentent 50 à 70% de sa valeur. Les broches paon ou lilas Mellerio datant du XIXe siècle et présentées lors des dernières expositions parisiennes ont survécu grâce à l’exécution ultra minutieuse de leurs plumes, au réalisme de leurs micro-fleurs en émail d’un mauve délicat qui semblent prêtes à frémir à la moindre brise. Démontées et fondues, ces broches pourtant d’une valeur inestimable ne rapporteraient rien. Pas un centime.