Style
19 octobre 2017
Share
Vhernier : Carlo Traglio et ses bijoux d’esthète
Carlo Traglio, propriétaire de la maison italienne, crée des pièces singulières et puissantes, empreintes de sa culture de collectionneur.
Les bijoux Vhernier ne sont pas des bijoux d’artiste. Ils reflètent l’esprit, le goût et la culture d’un collectionneur d’art hétérogène. Construite à l’instinct depuis plus de quarante ans, la collection de Carlo Traglio défie les classifications : elle mêle des œuvres du XVIe comme du XXIe siècle, d’artistes connus et d’autres inconnus. Un torse romain en marbre côtoie un Saint Georges terrassant le dragon, des œuvres de Ibu, des peintures de David Hockney et de Julian Schnabel dont il est « fan absolu ».
Mélange subtil de classicisme, de futurisme, de Pop Art et d’expressionnisme moderne, sa collection est une source infinie d’inspiration pour les bijoux qu’il crée. Il n’est jamais question de copie, de transposition littérale. Les pièces abstraites twistent et réinterprètent les références que seuls les initiés perçoivent. Les volumes sont habités, mouvementés. Ils se déploient en formes géométriques et dynamiques. Les ondulations, les plissés, les couleurs convoquent matériaux et techniques innovantes.
Pour the french jewelry post, Carlo Traglio décrypte des pièces phares.
La forme épurée de la bague « Tourbillon » remporte un grand succès tout comme « Twist » ou « Abbraccio », des icônes de la maison. Elles semblent avoir été figées en plein mouvement.
La construction de la bague « Tourbillon » évoque un rouage mécanique légèrement désaxé. Elle est directement inspirée des mouvements des années 1920, du Novecento, du futurisme dont font partie Boccioni et Balla. Les formes incroyables de leur représentation picturale de la lumière, du mouvement et de la vitesse président à la création de toutes ces bagues. On retrouve aussi l’influence de Brancusi, son sens du minimalisme et de l’abstraction.
Le bracelet « Bridge » évoque, lui, le travail de Lucio Fontana ?
J’ai commencé à acheter les œuvres de cet artiste italien il y a plus de trente ans, alors qu’il n’était pas encore internationalement connu. À l’époque, son geste puissant et souverain consistant à lacérer une toile m’a beaucoup impressionné. Il m’évoquait des sentiments de liberté, de souffrance. En regardant ces toiles, je me suis demandé comment recréer ce geste sur un bijou.
L’une des collections les plus récentes, « Volta Celeste », ne puise pas dans l’art contemporain mais dans la somptuosité de la chapelle Sixtine.
L’équipe de Vhernier et moi-même avons eu la chance de passer une heure et demie, seuls, dans la chapelle Sixtine. Je me suis allongé dans la position de Michel-Ange qui l’a peinte, au XVIe siècle… C’est tellement exceptionnel, on en a parlé pendant trois jours ! J’ai voulu réaliser l’évocation d’un ciel étoilé de couleurs. Évidemment, il ne s’agit pas d’une reproduction littérale de cette œuvre merveilleuse.
Vos ateliers ont mis au point une technique permettant d’obtenir des jeux incroyables de lumière sur la pierre. Vous avez retrouvé le bleu piscine de Hockney !
En tout cas, c’est le travail de David Hockney, un peintre de génie et un maître absolu de la couleur, qui m’en a donné l’idée. Ces couleurs changeantes, inimaginables dans la nature, sont obtenues grâce à la superposition de pierres. Par exemple, à partir d’un cristal de roche sur une pierre opaque comme la malachite, le lapis-lazuli ou encore la sugilite. L’aspect irisé ou moiré change selon le point de vue : de profil, l’œil ne perçoit plus que le cristal. Quant aux figures humoristiques comme celles de la chenille, des coquillages ou du toucan, elles sont davantage inspirées par des cartoons.
« Velvet » est l’une de mes pièces préférées… Le titane plisse et ondule comme s’il s’agissait d’un ruban de velours.
Pourquoi Alberto Burri s’est-il mis à utiliser un chalumeau pour que le plastique et le bois se délitent en conservant les traces du feu ? Basquiat récupérait des panneaux de bois dans la rue. Le détournement de matériaux est au centre de la démarche des artistes contemporains. De la même façon, nous menons des recherches pour dépasser les limites joaillières. Ce qui conduit à utiliser l’ébène, le jais (des plantes fossilisées) ou encore le titane pour « Blue Velvet ». Deux ans ont été nécessaires pour obtenir cette couleur et cet effet plissé qui, à l’instar de facettes, crée un miroitement. Cette pièce unique a été reproduite en titane orange avec un grenat mais il n’est pas question d’en faire davantage, malgré son succès. Vhernier a vocation à garder ce caractère exclusif qui contribue à son succès.