Style

23 janvier 2019

Le phénomène Suzanne Belperron

Pourquoi les bijoux de cette créatrice sont-ils devenus aussi recherchés par les collectionneurs ?

 

 

1987, début du phénomène Belperron

Le point de départ est la vente des bijoux de la duchesse de Windsor chez Sotheby’s parmi lesquels figure la célébrissime parure en calcédoine de Suzanne Belperron. En 2008, la découverte des archives rachetées par Olivier Baroin lance le mythe : on croyait que la créatrice les avait brûlées, en fait elles dormaient depuis une vingtaine d’années dans un appartement, ensevelies sous la poussière. Puis Olivier Baroin découvre que des rééditions circulent, des bijoux réalisés d’après des dessins qui auraient été vendus par un précédent légataire universel à des Américains, les Landrigan. Après une bataille judiciaire, le tribunal a interdit à ces derniers d’exploiter le nom Suzanne Belperron en Europe. Ils ont fait appel, une nouvelle décision est attendue fin 2019.

 

L’affaire Belperron-Boivin
Suzanne Belperron intrigue, fascine… Elle est au centre d’une autre polémique : pour Olivier Baroin, gardien du temple, beaucoup de ses bijoux ont été attribués à tort à René Boivin chez qui elle a commencé comme dessinatrice, en 1919. Après avoir apporté une grande notoriété au joaillier, en 1932, elle est partie. En bons ou en mauvais termes ? Et pourquoi ? En emportant ses dessins ? Les doutes persistent. Une chose est sûre : elle a rejoint Bernard Hertz, un négociant en perles et pierres précieuses avant de se lancer seule. Comme aucune des deux parties (ni elle, ni Boivin) n’a jamais signé ses bijoux, les attributions sont parfois délicates.

 

Sa phrase célèbre, « mon style est ma signature »

Mais quel style ? Alors que Sandoz, Templier et Fouquet plébiscitent les lignes géométriques, elle crée des agencements avant-gardistes de volutes, d’enroulements, des spirales qui préfigurent, selon moi, ceux des années 80. Elle s’inspire de la nature avec des fleurs stylisées, des coquillages sculptés dans des calcédoines (sa pierre préférée) par Adrien Louart, lapidaire virtuose qui réalise aussi le Serti mystérieux pour Van Cleef & Arpels. Pour elle, il sertit des pierres dans la pierre, des diamants dans du cristal de roche. Elle créé un bracelet cambodgien en quartz fumé, un collier et une broche évoquant l’Égypte où elle a voyagé. Elle utilise beaucoup d’« or vierge », un or orangé presque pur, très malléable qui peut être martelé (cf. sa bague de fiançailles « Yin et Yang »).

 

Un indicible charme

Un collectionneur me l’a avoué : il regrette de ne pas avoir compris le style Belperron… Les bijoux ne sont pas homogènes. Ils présentent des imperfections. Les pierres sont rarement d’une qualité exceptionnelle. C’est justement ce qui leur donne un charme fou et plaît tant. Ils correspondent plus que jamais à l’air du temps, à l’envie de pièces uniques faites à la main. Pionnière, l’Américaine Pat Saling les recherche depuis le tout début des années 80 : « Belperron trompe l’œil, déroute en jouant subtilement avec l’asymétrie, les proportions, le détail d’un serti, des associations inattendues de couleurs et de grosseurs de pierre. » Portées, les boucles d’oreilles semblent parfaitement identiques mais en réalité, elles sont légèrement différentes pour corriger l’asymétrie du visage.

 

Du goût et du caractère

« Femme de goût, elle raffolait des soies asiatiques et des belles tables », se souvient Annie Simon dont la mère était une de ses amies. Moderne, elle se soigne par les plantes et fait du sport. Contrairement à Gabrielle Chanel, sa contemporaine, elle ne va jamais au soleil. Elle garde tout, elle est plus qu’économe… Sa célèbre phrase, « mon style est ma signature », en dit long sur sa forte personnalité. D’une ambition démesurée, elle est attirée par la jet-set. D’un caractère difficile, on la dit hautaine et caractérielle. Pour Emmanuelle Chassard de la Galerie Parisienne, grande connaisseuse, « sa personnalité complexe a probablement semé les graines de la discorde actuelle autour de son héritage ». Et de son mythe.

 

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