Style

31 mars 2021

L’humour a-t-il déserté la joaillerie ?

L’exposition de Van Cleef & Arpels met en lumière un sujet complètement marginal dans la joaillerie actuelle : l’humour.

Par Sandrine Merle.

 

 

L’exposition, « Parenthèse humoristique, quand le bijou a de l’esprit »* tombe à pic, le rire ayant soi-disant de grandes vertus sur notre santé ! Des bijoux, des dessins et des publicités réalisés par la maison principalement des années 1910 à 70, on retient d’abord les clips bestioles. Le lion à la crinière ébouriffée, le plus connu, côtoie le canard portant une canne à pêche sur l’épaule ou ces trois petits canetons à la queue leu leu. Les publicités du joaillier, datées du début du XXe siècle, sont très étonnantes comme celle figurant un petit garçon sur la place Vendôme, en train d’arracher les poils d’un éléphant pour faire des bracelets et des bagues. Mais pourquoi n’y a-t-il qu’un seul bijou contemporain, une broche figurant un panda de la collection « Lucky Animals » lancée en 2017.

 

Le reflet d’une époque

Aujourd’hui, l’humour et la dérision sont les grands absents de la joaillerie. La collection « Hello Kitty » faite par Mikimoto remonte à 2014. Chez Cartier, les panthères sont très sages. Boucheron a délaissé ses bagues Macarons ou Animutants, hybridations qui pouvaient prêter à sourire, pour des inspirations Art déco. Chez Christian Dior, Victoire de Castellane qui a remis l’humour au goût du jour au début des années 2000 ne semble plus beaucoup s’amuser. David Gayral, connu pour ses bagues ornées d’une baignoire ou d’une voiture tractant une caravane, a disparu. Bref, les boute-en-train doivent se tourner vers le vintage !

 

Drôles d’animaux

Dans le vintage, on a l’embarras du choix à condition d’aimer les animaux, figures archi dominantes dans l’humour. Dans les années 40 à 70, le bestiaire est énormément représenté par le chat aux longues moustaches et le chien dont on souligne les particularités en les exagérant : le corps du teckel démesurément long, les bouclettes du caniche figurées par des perles rondes, l’œil noir du Terrier facétieux, etc. Les volatiles ont aussi leurs espèces fétiches : le canard avec son bec hypertrophié, et le hibou aux immenses yeux écarquillés.

 

Il ne leur manque que la parole !

Aux États-Unis, les créateurs excellent dans ce bestiaire joyeux prenant des postures humaines à la Walt Disney. À New-York, Cartier imagine un bracelet orné d’une micro Blanche-Neige et de ses 7 nains en collaboration avec la compagnie. Raymond C. Yard présente une série comique de broches lapins en train de siroter un verre, de jouer au golf ou de s’avancer, en robe de mariée, vers l’autel. Chez Tiffany & Co, Donald Claflin modernise l’image avec une farandole digne d’Alice aux Pays des Merveilles : morse en tenue de soirée, dragon hilare à oreilles éléphantesques, etc.

 

Le charm de l’humour

Les charm’s, breloques tintinabulantes, se prêtent à la miniaturisation, autre grand ressort de l’humour. L’exagérément petit, le XXS, le kawai fonctionne à merveille. On adore le diablotin ventru jaillissant de sa boîte ou le thermomètre (un dessin) présents dans l’exposition de Van Cleef & Arpels. Cartier, le roi du charm figure les Gremlins, créatures imaginaires accusées de saboter les avions de la RAF sur un bracelet de 1942. Il réduit lingot d’or, porte de chambre d’hôtel où figure la pancarte « Ne pas déranger », carte à jouer, bouteilles, etc. Avec le revival des charm’s, au début des années 2000, Louis Vuitton et Christian Dior en ont aussi fait de très drôles : paire de ciseaux, sac coloré, machine à écrire, etc.

 

Humour et jeux de mots

C’est plus rare mais l’humour passe aussi par la sémantique et les jeux de mots. Dans ce domaine, impossible de rivaliser avec Line Vautrin. Pendant les années 50 à 70, ses bijoux en bronze doré sont porteurs de messages chiffrés, de symboles à déchiffrer, de rébus comme celui qu’elle a inventé pour dire « Je T’Aime en Silence » : elle a ainsi représenté jeu (un bilboquet)-T—aimant-6 lances. On ne s’en lasse pas… Souvent allégoriques, aussi poétiques que ludiques, ses bijoux atteignent aujourd’hui des prix records.

 

Tous ces exemples appartiennent au passé : dans l’actuel, rien à signaler de tel. Car l’humour est éphémère et change avec les époques alors que le bijou est lui censé traverser le temps. Il est aussi difficilement exportable : allez traduire des traits d’humour en chinois ou en arabe ! Et le plaisant dans une civilisation peut être choquant dans une autre. Est-ce la raison pour laquelle, dans un marché mondialisé et unique, l’humour est un risque que les joailliers ne veulent plus prendre ?

 

*Van Cleef & Arpels, exposition « Parenthèse humoristique, quand le bijou a de l’esprit » au 20, Place Vendôme, Paris 1er – Date d’ouverture à confirmer

 

Image en bannière : Cartier New-York – Bracelets charm’s Cartier figurant des Gremlins (1943), Blanche Neige et les 7 nains (1939), es bouteilles de Perrier, Eno, Fine Old Sherry Diaz, etc. (1934)

 

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