Style

09 février 2017

Harumi Klossowska de Rola, artiste

Fille des peintres Balthus et Setsuko Ideta, Harumi trace sa voie, singulière, dans l’univers des bijoux.

 

Comment avez-vous commencé à faire des bijoux ?

Un jour, après avoir travaillé dans la mode chez John Galliano, j’ai ouvert les tiroirs de ma mère : ils étaient pleins de passementerie chinoise en soie. Fascinée par les mélanges de couleurs, j’ai rajouté des pierres fines de couleur. Je n’ai commencé à concevoir des bijoux en or, saphirs et diamants qu’en 2008, pour Boucheron et depuis quelques années pour Chopard.

 

Comment définiriez-vous votre style ?

Le fil conducteur est le bestiaire : la chouette, le lion, le serval considéré comme un chat par les Égyptiens, le guépard, l’ibis, l’aigle ou encore le babouin. Ils sont notre lien avec la nature et nous rappellent l’importance de la respecter alors qu’on la détruit de façon plus ou moins consciente. Autre fil conducteur : les matériaux comme le bronze qui s’oxyde et change d’aspect, avec le temps. Tous mes objets et mes bijoux sont fabriqués à la main pour leur conférer des irrégularités. Sur le paravent, j’ai par exemple tenté de « cabosser » la surface du bois pour produire un effet mural.

 

Vos animaux n’ont rien de candide ou de naïf…

Leur caractère inquiétant vient sans doute de mon admiration pour Géricault, qui leur confère toujours dans ses œuvres un caractère majestueux. Dans Le Radeau de la Méduse, Les Monomanes ou Cheval dévoré par un lion, la vie apparaît dans toute sa tragédie. Ses animaux sont fougueux, sauvages et si vivants malgré leur souffrance et leurs regards effrayés… La beauté est plus forte que de la laideur.

 

La culture japonaise a une énorme influence dans votre travail.

Cette notion japonaise de wabi-sabi, cette beauté qui semble imparfaite à l’homme, mais parfaite selon les critères de la nature est très présente dans mon travail. Elle vient de ma mère, issue d’une famille de samouraïs qui suivent les rites shintô s’apparentant aux religions animistes. Elle m’a toujours enseigné de ne pas être trop brutale avec les choses qui ont une âme : on doit les remercier pour les services qu’elles nous rendent et si elles sont cassées, essayer de les réparer avec de la feuille d’or. J’aime l’histoire de Kawai-san : dans son livre We Do Not Work Alone, un homme achète un vase pour l’offrir à un ami. Mais comme il le trouve trop neuf et trop parfait, il prend un pinceau, le trempe dans de la laque dorée et dessine une ligne tortueuse sur la surface.

 

Avez-vous la démarche d’un peintre, d’un sculpteur ou d’un orfèvre ?

Mon approche est globale. La sculpture, ce travail sensuel de la terre, m’a beaucoup aidée pour le travail en miniature du bijou. Mes bijoux sont devenus plus personnels car je réalise moi-même les maquettes pour être sûre d’être bien comprise par l’artisan que je sais maintenant corriger. Dorénavant je sais aussi les limites de ce qui est possible ou non. Je garde plus de distance avec le bijou qu’avec la sculpture.

 

Pouvez-nous nous parler de quelques bijoux ?

Le pendentif crâne se réfère à la fête des morts au Mexique. La mort n’y est pas associée à quelque chose de négatif comme en Occident où on a peur de la mort. On veut à tout prix la fuir et non l’accepter. Pour moi, qui ai grandi entre le shintoïsme et le catholicisme, la mort n’est pas une fin en soi car elle est peut être suivie par la réincarnation. J’ai donc ici essayé de lui donner le côté festif des crânes mexicains en remplaçant le crâne humain par celui d’un aigle orné de fleurs en turquoise et en corail. Pour le pendentif crâne d’un singe ouistiti (le plus proche de celui de l’homme), j’ai fait référence aux croix chrétiennes.

 

Vos parents sont des artistes célèbres. Quelle influence ont-ils eu sur votre travail ?

Mon père se levait très tôt le matin, prenait son petit-déjeuner et s’enfermait sans interruption dans son atelier jusqu’à 17h. L’heure du thé était un moment très important où l’on se retrouvait et échangeait sur les activités de chacun. Il parlait à ma mère des difficultés qu’il rencontrait dans son travail, des couleurs, de ses inspirations comme les fresques italiennes de Masaccio, de Piero della Francesca, des peintres chinois ou japonais. J’ai grandi avec ces conversations auxquelles je ne prêtais pas toujours attention mais que je restitue sans doute de façon inconsciente dans mon travail.

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