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23 mars 2016
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René Boivin, un « atelier de dames »
Ce n’est pas essentiellement au fondateur, René Boivin, que la maison française doit son style unique et sa réputation mais à plusieurs femmes et créatrices remarquables.
Par Sandrine Merle.
L’immense majorité des pièces sorties des ateliers René Boivin n’a pas été dessinée par le fondateur qui décède en 1917 d’une pleurésie mais par les femmes de la maison. C’est pourquoi Françoise Cailles, auteur du seul livre (à ce jour) sur la maison, qualifie cette dernière d’« atelier des dames ».
Jeanne Boivin, son épouse
Après la Première Guerre mondiale, Jeanne Boivin (sœur du couturier Paul Poiret) change de cap : elle oriente René Boivin, jusqu’alors fabricant pour des grandes maisons, vers la création. « Elle avait un sacré caractère », explique Olivier Baroin l’expert de Suzanne Belperron qui a travaillé avec elle pendant 13 ans. Car à cette époque la joaillerie est principalement une affaire d’hommes ! « Jeanne Boivin signe tous ses courriers Mr René Boivin et ce, jusque dans les années 60 », continue-t-il. Elle supervise tout avec une exigence extrême. En 1919, elle embauche la jeune Suzanne Vuillerne (connue sous le nom de son mari Belperron) avec qui elle travaille en étroite collaboration jusqu’à la nommer co-directrice dès 1924.
Suzanne Belperron
Suzanne Belperron a un rôle clé dans l’histoire de René Boivin. La créatrice initie des contrastes inédits de bois et de diamant, de cristal de roche et de pierres fines colorées comme les améthystes, les saphirs, les péridots, etc. Elle privilégie l’or jaune en pleine vogue du platine et les volumes architecturés. En treize ans, elle crée le style Boivin : les bijoux ont une main, autrement dit ils sont identifiables au premier coup d’œil. « Quand elle est absente, les clientes déposent or et pierres en lançant : dites à Madame Belperron de faire ce que bon lui semble ! », note Olivier Baroin. En 1932, Suzanne Belperron quitte la maison et on ne sait ni pourquoi, ni dans quelles conditions. Même les archives de Suzanne Belperron n’ont apporté aucun élément.
Juliette Moutard
En 1933, Juliette Moutard (dont il n’existe pas de portrait à cette époque) succède à Suzanne Belperron. Elle a beaucoup d’humour et d’esprit, perceptibles par exemple dans son bestiaire à l’attitude malicieuse. C’est une amoureuse des oiseaux, elle concrétise aussi les idées de Jeanne Boivin qui adore l’univers de la mer notamment avec des étoiles de mer aux branches articulées. L’une des plus célèbres créée en 1937 est celle à 5 branches créée en 1936 pour l’actrice Claudette Colbert. Parallèlement, elle perpétue les formes architecturées et les influences étrusques chères à la maison. « Elle s’entendait probablement mieux avec Madame Boivin que Suzanne Belperron puisqu’elle reste presque 40 ans dans la maison », estime Olivier Baroin. Avant son départ à la retraite, en 1970, elle est secondée pendant quelques mois par une nouvelle créatrice : Marie-Caroline de Brosses.
Marie-Caroline de Brosses
À son arrivée en 1970, Marie-Caroline de Brosse (aujourd’hui décédée) travaille d’abord sous la direction des filles de Jeanne Boivin, Suzanne Voirin et Germaine Sonrel puis à partir de 1975, sous celle Jacques Bernard. Les deux sœurs ont en effet vendu la maison à leur fournisseur de diamants de couleur, Mr Perrier, dont la fille, Françoise est l’épouse de Jacques Bernard (un ancien chef d’atelier de Cartier). En 1982, Françoise Perrier hérite de René Boivin qu’elle doit céder en 1989 à son ex-époux. Au fil des années, Marie-Caroline de Brosses reprend les motifs emblématiques : Paisley, volutes et écailles teintés de l’air du temps c’est-à-dire les années 80. C’est elle qui dessine l’épée d’académicien de Jean d’Ormesson. Elle quitte René Boivin en 1989 peu avant que Jacques Bernard ne revende la maison en 1991 à Asprey (alors propriété du frère du sultan du Brunei).
Marie-Christine de Lamaze
À partir de 1974, Marie-Caroline de Brosses passe une grande partie de son temps à l’étranger, en Corée. Pour la remplacer à Paris, elle appelle l’une de ses anciennes camarades de promotion aux Beaux-Arts : Marie-Christine de Lamaze. Elles étaient totalement indépendantes mais on a souvent du mal à distinguer ce qu’a fait l’une ou l’autre. Elle créé pour des clientes prestigieuses et célèbres comme Marina Vlady, les princesses Fayçal et réalise une épée d’académicien pour Maurice Rheims.
Ghislaine d’Entremont
À partir de 1985, Marie-Caroline de Brosses fait appel à une autre de ses camarades de promotion des Beaux-Arts : Ghislaine d’Entremont. Cette dernière est une artiste, une originale, une rêveuse qui créé dans le strict respect ADN de la maison. Elle raffole des pierres et sait entretenir d’excellentes relations commerciales ce qui permet de conserver une clientèle prestigieuse. En 1988, elle cède sa place à Sylvie Vilein et part travailler chez Chaumet puis chez Chanel.
Sylvie Vilein
En 1988, Jacques Bernard engage Sylvie Vilein. Diplômée de la Haute École de Joaillerie, elle a aussi suivi des cours de dessin qui lui permettent d’entretenir de fructueuses relations avec les gens de l’atelier : en effet, elle partage le même langage et les mêmes mots. Perfectionniste du pinceau, elle crée les derniers bijoux spectaculaires et articulés, l’un des signes de reconnaissance de la maison comme en témoigne la pieuvre. Un écho à l’étoile de mer de Juliette Moutard… À partir de 1999, elle poursuit sa carrière chez Poiray puis, depuis 2004, chez Mauboussin.
C’est ainsi que jusqu’à la fin des années 90, ce sont des femmes qui ont perpétué le style René Boivin dans un secteur entièrement dominé par les hommes.
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