Style

19 novembre 2023

René Boivin et Suzanne Belperron, les inséparables

On a longtemps confondu, et même opposé, la maison René Boivin et Suzanne Belperron. Grâce à la réunion des deux fonds archives, la situation est enfin apaisée et clarifiée.

Par Sandrine Merle.

 

 

En 1919, peu après la mort de René Boivin, Jeanne, sa veuve recrute une dessinatrice modéliste , la toute jeune Suzanne Vuillerme (Belperron par son mari) devenue codirectrice dès 1923. En 1932, cette dernière démissionne pour prendre les rênes de la société Bernard Hertz. Mêmes lignes géométriques, mêmes agencements de volutes, mêmes enroulements et spirales… De quoi laisser dire à certains qu’elle est partie avec ses dessins et une partie de la clientèle. « Belperron continue à fabriquer certains de ses modèles les considérant comme ses créations, alors que -de son côté- la maison Boivin en poursuit l’exploitation », explique Thomas Torroni-Levene gardien du temple de la maison Boivin depuis 2019. Dans les archives, il n’existe d’ailleurs aucune mention d’un quelconque problème entre les deux parties.

 

En l’absence de signatures et d’archives

Le problème surgit bien plus tard, dans les années 80-90 quand la notion de propriété intellectuelle et d’attribution commencent à prendre de l’importance. En effet, avant 1976, aucune des deux maisons n’a jamais signé ses bijoux ! En l’absence d’archives, il devient donc difficile de distinguer une pièce créée par Suzanne Belperron pour la maison René Boivin d’une pièce réalisée pour Herz-Belperron. Et même après 1932 chez René Boivin, le style reste très Belperron, sa remplaçante Juliette Moutard mettant une dizaine d’années pour imprimer sa patte. Quant au poinçon de maître de G&D, il n’a jamais suffi à faire la distinction car cet atelier a parfois travaillé pour les deux parties. Dans les années 80-90, on ne parle donc que de la maison René Boivin, toujours en activité et très à la mode ; Françoise Cailles lui consacre même un livre (1994). Seuls quelques grands marchands américains ou londoniens s’intéressent à Suzanne Belperron (décédée en 1983).

 

« L’expertise, un vrai métier », la conférence chez Sotheby’s

 

La consécration de Suzanne Belperron

Deux évènements inversent la donne et consacrent la créatrice comme l’une des plus talentueuses du XXe siècle. En 1987, dans la vente historique de Sotheby’s, filmée par des caméras du monde entier, ses bijoux figurent parmi ceux de la duchesse de Windsor. Sa fameuse parure en calcédoine entre alors dans l’histoire (CHF 627 000). Le second évènement survient en 2008 quand Olivier Baroin découvre les archives -censées avoir été brûlées-, dans un appartement abandonné depuis plus de 20 ans. Dessins, carnets de commandes, plâtres et gouaches à l’appui, il prouve que « Suzanne Belperron a insufflé le style Boivin et qu’à son arrivée, René Boivin travaillait surtout pour les grands joailliers. » Il met en place une certification et revient sur les pièces qu’on a omis de lui attribuer. Son livre en 2011 finit de consacrer Suzanne Belperron dont la côte s’envole comme en témoigne le bracelet adjugé USD 852.500 chez Christie’s en 2018.

 

Le phénomène Suzanne Belperron

 

Le retour de balancier

Passée aux mains de Asprey puis de Nathalie Choay, la maison Boivin se consacre à une clientèle particulière prestigieuse. Et soudain, en 2019 ses archives réapparaissent, rachetées par G. Torroni. « Grâce au concours de Mr Salit (ancien associé de Mme Cailles), elles ont été récemment complétées par celles de Mme Cailles comprenant 3 livres de stock et les cahiers de brouillon de Mr Girard (directeur de la maison de 1929  à 1985) », se réjouit  Thomas Torroni-Levene. Pour lui, il n’a jamais été question de considérer René Boivin et Suzanne Belperron comme des rivaux, bien au contraire : « les deux maisons avaient tout intérêt à se rapprocher, raison pour laquelle j’ai créé un comité René Boivin avec -entre autres- Olivier Baroin. » Les deux gardiens du temple s’attachent à croiser leurs informations afin de délivrer des attributions aussi précises et justes qu’irréfutables. Condition sine qua non pour rassurer les marchés. Ils incarnent aujourd’hui le rapprochement de deux maisons qui, l’une sans l’autre, ne seraient probablement jamais entrées dans l’histoire de la joaillerie.

 

Image en bannière : bague « Bibendum » en argent et pierre de lune réalisée par Suzanne Belperron pour son écrin personnel (vente Sotheby’s 14 mai 2012) – Ce modèle, dessiné par Suzanne Belperron, se trouve à la fois dans les archives de René Boivin et de Hertz-Belperron.

 

Pour en savoir plus sur René Boivin, les articles se trouvent ici

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