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03 juin 2025
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Les pendentifs Cupidon, bijoux emblématiques de la Renaissance, décryptés par Julie Rohou
L’exposition « D’or et d’éclat » à la fondation Bemberg (Toulouse) met en lumière les bijoux de la Renaissance. Trois pendentifs Cupidon se trouvent réunis pour la première fois grâce à la commissaire Julie Rohou conservateur au musée national de la Renaissance (Écouen), notamment en charge des collections orfèvrerie-joaillerie. Cette dernière nous en apprend davantage sur ces Amours probablement commandés à l’occasion de mariages.
Sandrine Merle. Il y a quelques mois lors de notre entretien pour La Gazette Drouot, vous m’aviez évoqué la réunion de quelques pendentifs en forme de Cupidon. C’est chose faite, les visiteurs ont la chance de pouvoir en admirer trois sur les dix qui forment le corpus.
Julie Rohou. Ceux présentés ici proviennent des collections du musée de la Renaissance d’Ecouen, du musée de Budapest et du Rijksmuseum (Amsterdam). Mon ambition profonde reste, un jour, de réussir à réunir les dix formant le corpus, le dixième n’étant apparu que très soudainement fin 2024, sur le compte Instagram d’un galeriste londonien. Certains sont dans des collections privées comme celle d’Albion Art. D’autres seront difficiles à déplacer, je pense aux deux conservés en Russie au musée de l’Ermitage et à celui cousu sur la robe de la Vierge noire conservé au couvent de Jasna Góra en Pologne.
Sandrine Merle. Ces trois Amours en pendentif d’une dizaine de centimètres de haut, se distinguent par leur préciosité, la finesse de leur exécution et leur grande ressemblance. Sont-ils tous en si parfait état ? Certains ont-ils été modifiés au fil du temps ?
Julie Rohou. Émaillés en ronde bosse, ils sont tous coiffés d’une petite couronne avec un arc pavé de pierres précieuses, pointé dans la même direction. Peut-être vers le cœur… Il existe quelques caractéristiques individuelles, des différences de taille et de décor sur le collier, la couronne de laurier ou l’émaillage des ailes. Celui d’Ecouen est le seul à avoir un système d’accroche orienté verticalement ce qui n’était pas le cas à l’origine. On a probablement remplacé la chaînette qui allait de sa tête à son pied (où reste la trace de l’anneau coupé) au XIXe siècle. À ce moment-là, on a aussi remplacé l’arc qui était probablement cassé. Globalement ceux conservés dans les collections historiques sont vraiment en excellent état ; je n’ai pas encore vu celui découvert sur Instagram, mais lui semble endommagé.
Sandrine Merle. Ces pendentifs Cupidon sont particulièrement à la mode dans les années 1580-1610. En quoi représentent-ils une époque ?
Julie Rohou. Ils représentent les derniers feux de la Renaissance, une période qui fait la part belle au travail de l’or, aux émaux et aux formes exubérantes. Pourtant, au moment où ils sont fabriqués, la taille des pierres précieuses commence à faire des progrès considérables. Les bijoux comme les Cupidon vont alors très rapidement être démodés et laisser la place à des parures qui mettent davantage en avant les pierres et ressemblent beaucoup plus à celles qu’on connaît aujourd’hui.
Sandrine Merle. Sait-on qui les fabriquait et qui les portait ?
Julie Rohou. Leur provenance est délicate à cerner en raison de la circulation des orfèvres et des modèles dans l’Europe de la seconde moitié du XVIe siècle. Ce qui provoque une certaine uniformisation des formes et des styles. Autre raison : ces bijoux ne sont jamais poinçonnés ils ne peuvent donc pas être attribués avec certitude à des lieux précis de production. On suppose que tous proviennent d’un nombre restreint d’ateliers de la même zone géographique d’Europe septentrionale, Allemagne ou Pays-Bas à en juger par la nationalité de la plupart des propriétaires des bijoux identifiés dans les archives. L’un est notamment représenté sur le portrait de Maria Elizabetha Fugger (grande famille de banquiers allemands) peint par Wolfgang Kilian (1618).
Sandrine Merle. Vous dites qu’à cette époque, ils étaient quasiment fabriqués « en série » au sein de certains ateliers et vous semblez avoir une idée très précise de la façon dont ils ont été conçus.
Julie Rohou. En effet car certains de ces pendentifs Cupidon ont été soumis à une batterie de tests. Pour les cupidons d’Écouen et du Rijksmuseum, nous savons qu’ils ont été fondus en deux parties, un peu comme deux coques, puis assemblés ; leur intérieur est creux pour économiser le métal. Une fois la forme générale obtenue, l’orfèvre a ensuite retravaillé en ciselure certaines parties comme la chevelure, puis a émaillé le reste. Enfin, on a serti les pierres en plaçant une résine au fond de l’emplacement destiné à les recevoir, puis un paillon, puis enfin la pierre elle-même. Les perles ont été ajoutées à la fin. L’émail n’avait pas besoin d’être poli : sa cuisson lui procurait un lustre naturel et une surface brillante et lisse ; c’est l’analyse de ce matériau qui, souvent, constitue le moyen de distinguer la joaillerie de la Renaissance de ses nombreuses imitations, réalisées au XIXe siècle. C’est impossible à voir à l’œil nu mais le pendentif de Budapest est, lui, extrêmement lourd : je soupçonne qu’il soit plein du ciment ayant permis au sculpteur de le mettre en forme.
Sandrine Merle. Envisagez-vous une publication, un livre ou un article, sur ces Amours en pendentif ?
Julie Rohou. C’est tout à fait possible. Ma collègue Suzanne van Leeuwen du Rijksmuseum et moi-même pensons que l’exposition est un premier jalon pour poser un regard technique sur ces objets.
Image en bannière : © Collection Albion Art
« D’or et d’éclat » à la fondation Bemberg (Toulouse) jusqu’au 27 juillet 2025
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