Itinéraires joailliers
30 août 2023
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Les bijoux Art nouveau du Schmuckmuseum Pforzheim : une collection dans la collection
Le Schmuckmuseum Pforzheim possède 10 000 bijoux. Il en expose 2 000 retraçant l’histoire du bijou de façon chronologique. Je me suis intéressée à la section très riche consacrée à l’Art nouveau. Véritable collection dans la collection, elle présente les différentes versions européennes de ce courant stylistique.
Par Sandrine Merle.
Il faut remonter à l’origine de la collection du Schmuckmuseum Pforzheim pour comprendre la très grande richesse de cette section dédiée à l’Art nouveau, courant stylistique qui souhaite se débarrasser du fatras pompeux et historicisant du XIXe siècle. Il est très bref, il dure à peine 10 ans de 1895 à 1905. Paris en est alors l’épicentre. « Deux institutions de Pforzheim (L’École grand-ducale des Arts décoratifs et la société des Beaux-Arts et des Arts décoratifs) achètent de nombreux modèles français pour la collection initiée quelques années plus tôt. Collection servant à stimuler les apprentis orfèvres et les créateurs de la ville, alors centre de l’industrie allemande du bijou réalisé en série et commercialisé dans toute l’Europe », explique Cornelie Holzach directrice du Schmuckmuseum Pforzheim.
Art nouveau, l’excellence française
Tous les grands de l’Art nouveau français sont là. À tout seigneur, tout honneur : on commence avec René Lalique, précurseur et maître incontesté. Ses bijoux sont la quintessence de ce style : lignes sinueuses, motifs inspirés de la nature souvent inquiétante, influence du Japon, figures féminines hybridées avec des insectes, matériaux « banals », etc. La broche « Chrysanthème » en est une parfaite illustration comme celle formée par deux têtes de femmes ou le diadème conçu comme un ruban de perles s’enroulant autour d’une branche ornée de feuilles et de fleurs. Juste à côté, voici l’extravagant pectoral de Georges Fouquet, représentant un poisson au corps en nacre irisée avec des nageoires et une queue en émail plique-à-jour. Voilà aussi un peigne en corne de Lucien Gaillard, des pendentif de Henri Vever, de Gautrait ou encore de Le Turc, la boucle de ceinture des frères Piel, etc.
Musée Lalique, dans l’uni-verre de l’artiste
Le Jugendstil, l’adaptation allemande
Les industriels de Pforzheim s’inspiraient des modèles français qu’ils fabriquaient en série pour le marché international. L’accusation de plagiat et de vulgarisation n’a pas tardé, de fortes tensions sont apparues avec la France. Lors de leur visite de l’exposition universelle en 1900 à Paris, ces industriels allemands étaient tellement surveillés par les agents de sécurité qu’il leur était impossible de croquer un seul modèle ! La France ne décolérait pas. En 1908, l’un des représentants majeurs de l’art nouveau français, le joaillier Henri Vever écrivit : « … et surtout les Allemands inondèrent le monde entier de déplorable Art Nouveau ». Au regard des bijoux allemands exposés, cette pique paraît excessive, voire injuste. Certes les joailliers allemands ne réussissent pas à égaler le génie de Lalique. La fameuse seiche de Lucas von Cranach, formée par une énorme perle baroque, qui retient dans ses tentacules d’or le papillon en émail, n’a pas la grâce française. Pour autant, ils finirent par inventer leur propre vocabulaire grâce à des dessinateurs comme Georg Kleemann. Ce dernier s’émancipa de l’influence française avec un Jugendstil géométrique aux formes végétales mélangées à des lignes droites et des angles.
Henri Vever, joaillier de l’Art nouveau
Les variations européennes de l’Art nouveau
Dans cette section, on peut également admirer des pièces achetées aux Anglais dont une magnifique boucle de ceinture de Charles Robert Ashbee. Autres pays représentés : le Danemark avec le Danois Georg Jensen qui abandonnera très vite ce style, l’Espagne avec Lluis Masriera (qui s’approprie ce style après sa visite de l’Exposition Universelle), l’Autriche-Hongrie avec Entwurf Otto Prutscher, de Oszkàr Tarján Huber. Leurs beaux bijoux créés en pleine Sécession sont d’une modernité incroyable, ils s’apparentent à des animaux tentaculaires stylisés et colorisés. Mais que tout cela ne fasse pas oublier l’avant et l’après Art nouveau présentés dans cette remarquable collection historique ainsi que les trois autres collections de bagues, de montres à gousset et de bijoux ethnographiques. Prévoyez la journée !
En partenariat avec L’École des Arts Joailliers dans le cadre du projet « Les Lieux du bijou »
Pour en savoir plus, lire Le Schmuckmuseum Pforzheim