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25 janvier 2022

Ventes aux enchères online, Violaine d’Astorg chez Christie’s Paris

Cette année, 75 % des ventes aux enchères de la maison Christie’s seront digitales. Violaine d’Astorg directrice du département joaillerie à Paris, passionnée par ce format et dont la dernière vente a battu des records, nous en parle.

 

 

Sandrine Merle. À Paris, les ventes de bijoux sont 100% online. En décembre 2021, la dernière a atteint €10 millions…

Violaine d’Astorg. Elle a dépassé la vente mythique de la collection d’Elizabeth Taylor en 2011, soit $9,5 millions. Comment aurais-je pu imaginer cela un jour ? Cette vente a aussi battu le record pour une vente de bijoux (cataloguées ou online) en France ainsi que le record de toutes les ventes online dans le monde. À titre de comparaison, ma première vente digitale en 2019 a fait $5,9 millions. Entre les deux, un collier Fouquet avec au centre une aigue-marine rectangulaire s’est vendu €980 000, plus du double de son estimation ($380 000). On ne l’avait pas revu depuis une exposition au Musée des Arts décoratifs dans les années 80 et il figure en couverture d’un livre référent sur l’Art déco.

 

S.-M. Suivre une vente comme celle du collier Fouquet derrière son ordinateur n’est pas frustrant ?

Violaine d’Astorg. C’est vrai, j’ai toujours imaginé mon record du monde dans une salle bondée, en surchauffe, avec un commissaire-priseur abattant son marteau… D’autant que ceux de Christie’s sont des pointures ! Au lieu de cela, j’ai assisté à l’adjudication du Fouquet derrière mon ordinateur mais en ligne avec le vendeur. C’était très émouvant.

 

S.-M. Certains vendeurs sont-ils encore réticents au digital ?

Violaine d’Astorg. Non car ils l’ont compris : c’est le format idéal pour valoriser leur bijou. Il n’y a jamais eu autant de photos pour le présenter, de face, de dos, de ¾ et porté. On peut aussi voir l’éventuel poinçon de maître et la signature. Surtout il bénéficie d’une visibilité inédite dans le monde auprès d’un vivier phénoménal d’acheteurs. Grâce aux réseaux sociaux comme Instagram, on touche même ceux qui ne reçoivent pas le catalogue. Des acheteurs n’ont plus besoin de traverser la planète pour voir et s’offrir un bijou à $40 000, Covid ou pas Covid. Dans ma dernière vente, j’ai eu 10 400 nouvelles adresses IP connectées de 38% nationalités différentes. Au final, 64 des acheteurs étaient étrangers. C’est dire…

 

S.-M. Selon vous, les acheteurs n’attendaient que les ventes online.

Violaine d’Astorg. Les acheteurs, qu’ils viennent de Russie, de Chine ou du Moyen-Orient, ont adoré cet outil qui, soudainement, leur a permis d’être complètement autonomes. Grâce aux photos, ils peuvent parfaitement comprendre le bijou. Et contrairement à ce que certains craignaient, ils ne se lassent pas de la pièce convoitée parce que la vente dure 12 jours au lieu de quelques minutes en salle. Online, ils cliquent, ils recliquent, ils peuvent se battre… Juste avant le closing, il y a une prolongation de 3 minutes à chaque nouvelle enchère. Croyez-moi, le online attise tout autant le désir !

 

S.-M. Face à l’émergence du online, comment les cartes sont-elles redistribuées entre Paris, Hong-Kong, New York et Genève ?
Violaine d’Astorg. A Paris, nous n’avons plus que des ventes de bijoux online. Mais à Hong-Kong, Genève, New York, à côté des ventes online, il reste des grandes ventes, des rendez-vous incontournables où se retrouvent physiquement acheteurs et vendeurs du monde entier. On y trouve les bijoux stars, les pièces historiques comme la paire de bracelets ayant appartenu à Marie-Antoinette. Nos ventes sont complémentaires.

 

S.-M. Avec les ventes online vous craigniez de perdre le côté humain de votre métier, il n’en est rien…
Violaine d’Astorg. Paradoxalement, c’est même tout le contraire. Grâce au digital, les acheteurs de Christie’s ont rajeuni et comme ils savent se servir de What’sApp, Zoom, Teams, ils m’appellent davantage. Ce qui leur permet d’avoir un service de plus en plus personnalisé : si vous me voyiez lors des expositions précédant les ventes (qui restent physiques) ! Je suis devenue une vraie personal shopper, toute la journée, j’essaie un bracelet ou un diadème ou je mets un collier sur une grande brune, des bagues aux mains très fines d’une petite blonde. J’organise aussi un shooting pour montrer comment porter le bijou vintage aujourd’hui. Tout un sujet ! Le bijou n’a ainsi plus de secret pour l’acheteur, il est rassuré. Pour l’instant, je suis heureuse de ce format, je ne retournerai pas dans le monde d’avant.

 

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