Business
23 juin 2021
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Diamants : un avenir en rose ?
Ses ressources étant épuisées, la mine australienne d’Argyle a définitivement fermé. Elle était la plus grosse mine du monde en volume et la seule (ou presque) à extraire des diamants roses, violets et rouges.
Par Sandrine Merle.
Pendant 35 ans, cette mine, perdue au milieu de nulle part, a principalement extrait des petits diamants bruns de médiocre qualité pour l’industrie. Et pourtant elle a acquis une réputation internationale grâce à une infime partie de sa production : des pierres roses, violettes, rouges dignes de la haute joaillerie. L’annonce de sa fermeture a donc ému négociants, collectionneurs et joailliers du monde entier. Ceux-ci sont aujourd’hui dans les starting-blocks car Rio Tinto, propriétaire d’Argyle, organise son dernier tender (vente à vue). On s’attend à des prix stratosphériques pour certaines des 70 pierres comme l’Éclipse de 3,47 carats ou encore le Boheme, un rouge rarissime de 1,01 carat.
La revanche du diamant de couleur
« Dans les années 70, ces diamants de couleur n’avaient aucune valeur, explique le propriétaire de la fameuse collection Rainbow de 350 spécimens. J’ai échangé mon tout premier contre un paquet de cigarettes. » En 1985, quand Rio Tinto commercialise ceux d’Argyle (il y a aussi des bleus, des oranges, des jaunes), ils ne créent toujours pas l’évènement. On ne jure que par le blanc… Tout commence à changer quand Rio Tinto s’émancipe de la mainmise de De Beers qui commercialise les diamants extraits dans le monde entier via la Central Selling Organisation. Rio Tinto se met à organiser lui-même la vente de ses top diamants, en partie inspirée du système de… De Beers : vente à huis clos de quelques spécimens savamment sélectionnés et clients triés sur le volet. Et ça marche ! Sinead Kaufman, directrice générale de Rio Tinto affirme que « au cours des vingt dernières années, leur valeur a augmenté de 500%. » Et l’analyste Cisecki de Australian Diamond Portfolio estime, lui, qu’ils sont aujourd’hui « 20 fois plus chers que les blancs ».
Argyle, une marque
Cet exploit tient au marketing de Rio Tinto, à la façon dont la compagnie minière a érigé le diamant rose d’Argyle en référence. Unique, il est d’une intensité (qualifiée de Fancy, Fancy Intense, Fancy Vivid) supérieure à ceux d’Afrique du Sud, de Russie ou de Tanzanie. Et tout ça grâce à un miracle dont l’a doté la nature : un nano défaut dans sa structure atomique ! Rio Tinto a scénarisé ses ventes construites autour de diamants baptisés « diamants héros » avec de jolis noms. De quoi en faire des pierres de légende. Quant à son tour de passe-passe pour donner de la valeur à ses millions de carats de diamants bruns destinés à l’industrie, c’est un véritable coup de génie ! Elle les a requalifiés de cognac et champagne, elle les a mis en avant par des pavages en camaïeux associés à de l’or jaune grâce à des pièces spéciales exposées chez de grands joailliers, elle a organisé un International Award et acheté de la publicité dans Vanity Fair, etc. David Yurman a été l’un des premiers fans. Et voilà comment est née cette tendance dans les années 90 !
De la beauté des défauts, les diamants de couleur
Flambée des prix
Rio Tinto a construit pour ses diamants roses une réputation digne de celles de Muzo pour les émeraudes. La compagnie minière a aussi bénéficié d’une demande croissante de traçabilité : l’acheteur veut plus que jamais savoir d’où vient sa pierre, la provenance est devenue un enjeu majeur. Comme on s’y attendait, l’annonce de la fermeture d’Argyle a été suivie d’une flambée des prix. « Pour le rose, on est passé de $35 000 à $100 000 le 0,10 carat, explique le négociant Antoine Haddad. Autrement dit, il a été multiplié par 3. Il va falloir maintenant vivoter sur les stocks existants comme pour le saphir du Cachemire. » La start-up australienne yourdiamonds.com s’est toute de suite positionnée sur ce second marché en organisant la première vente publique de 33 diamants roses. Un évènement qui pourrait générer $18 millions.
Au-delà du marché des diamants de couleur, Argyle préfigure l’avenir de l’industrie du diamant en général : dans les 20 prochaines années, 7 grosses mines fermeront, elles aussi confrontées à l’épuisement des stocks. Pour le moment aucune nouvelle n’a été trouvée alors que la demande semble être infinie.