Business
22 janvier 2022
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La joaillerie à l’heure du wokisme
Les achats de joaillerie seront de plus en plus influencés par des considérations comme la préservation de l’environnement, l’engagement sur l’égalité des chances, la parité homme-femme, etc. D’ici 2025, la Responsabilité Sociétale des Entreprises les impactera entre 20 et 30 %, soit $110 milliards. Trois plus qu’en 2019 ! *
Par Sandrine Merle.
1/ Wokisme : la conscience environnementale
La préoccupation n°1 des 18-30 ans concerne le réchauffement de la Planète et la disparition des espèces. Pour cette « génération climat », en joaillerie la responsabilité en incombe d’abord aux producteurs d’or et de pierres précieuses comme Gemfields, Al Rosa, Rio Tinto ou De Beers. Ceux qui, depuis des lustres, ont dynamité les sols, utilisé du mercure, déforesté à tout va … Conscients de ces images désastreuses difficiles à effacer de la mémoire collective, ils en font des tonnes ! Via l’association Only Natural Diamonds, les 7 plus grands producteurs mondiaux veulent montrer leur impact positif : dans leur campagne publicitaire « PS : Merci », on découvre leurs réserves naturelles (trois fois la superficie des 523km2 qu’ils exploitent dans le monde) où s’épanouissent des zèbres, où naissent des antilopes, etc.
2/ Wokisme : la conscience politique
Autre préoccupation importante en joaillerie : la pierre et l’or de mon solitaire ont-ils nécessité le travail d’enfants ? Ont-ils servi à financer un conflit comme dans Blood Diamond ? Ce film (2006) a marqué la mémoire collective… Pour l’éviter, le secteur s’est doté depuis longtemps d’outils comme le Kimberley Process ou le Responsible Jewelry Council. Le risque 0 n’existant pas encore, les joailliers sont terrifiés : et si un client découvrait que son rubis vient des mines de Birmanie, celles qui fournissent les plus belles pierres au monde mais sont exploitées dans des conditions atroces par la junte au pouvoir. Ils continuent donc à sécuriser la chaîne de la mine à la vitrine en diminuant les intermédiaires et en augmentant les contrôles. « Les joailliers exigent dorénavant de connaître nos fournisseurs et les provenances, y compris pour les très petites pierres utilisées en pavage. Celles de provenance inconnue sont systématiquement rejetées », explique Antoine Haddad, négociant en diamants et pierres de couleur. Ils savent qu’au moindre doute, les ONG publient un rapport et les consommateurs se déchaînent.
3/ Wokisme : la conscience LGBT « Lesbienne Gay Bi Trans »
Dans un avenir proche, les joailliers pourraient se trouver dans le collimateur des LGBT, des LGBT+, des LGBTQIA+, voire des LGBTTQQIAAP. Q pour « Questioning », personne qui s’interroge sur sa sexualité, + pour « Autres »… La sexualité majoritaire, dans laquelle un homme (né homme) a un rapport avec une femme (née femme), n’est plus la norme. Autant dire que les joailliers sont en retard avec des publicités dominées par des couples hétéros à de rares exceptions comme chez Tiffany & Co. et l’Américain Zales. Spécialiste des bagues de fiançailles, le joaillier américain vient de lancer une collection aux lignes massives, dédiée aux hommes. Sous la pression, pourraient-ils mettre en scène une personne trans comme l’a récemment fait le joaillier indien Bhima ?
4/ Wokisme : la conscience BIPOC « Black, Indigenous and People of Color » (PANDTC en français)
« Black lives matter » mais toujours pas de Virgil Abloh de la joaillerie ! Les BIPOC dans les mines et les manufactures, les Blancs dans les livres d’histoire du bijou. Art Smith, un Américain d’origine haïtienne serait pourtant digne d’y figurer : dans les années 50-60, il a réalisé des merveilles dans des matériaux « banals » notamment en lien avec la danse. Sa boutique installée dans Little Italy était régulièrement caillassée. 2021 marquerait-il le début d’un changement ? Sotheby’s a présenté une exposition-vente inédite, « Brilliant and Black – A Jewelry Renaissance », comprenant 21 créateurs des années 50 à nos jours. Une première, la bague estimée $1 million par une créatrice noire, Maggi Simpkins ! Il y a aussi eu de nombreux dons, aides à la formation ou à l’accès aux diamants, mentorats, etc. en faveur des BIPOC, lancés par Tiffany & Co., Lorraine Schwarz avec Only Natural Diamond ou encore De Beers avec De Beers Group. Une discrimination positive nécessaire.
5/ Le roi du wokisme
L’Américain Tiffany est sur tous les fronts : premier à boycotter le corail et les rubis de Birmanie au début des années 2000, premier à faire figurer un couple gay dans des publicités après la légalisation du mariage gay aux US, premier à orchestrer une campagne avec un couple de célébrités noires (Beyonce et Jay-Z) devant un tableau de Basquiat. Le site décrit des dizaines de mesures pour le bien-être des employés : formations, congés maternité, représentativité des BIPOC et des LGBT… Il a obtenu la meilleure note de la Fondation Human Rights Campaign ! Amérique oblige, il fait tout pour atteindre son objectif 2025 : devenir la première maison de luxe inclusive.
Article relatif à ce sujet :
Et si je veux un bijou éthique ?
* (Source McKinsey)
Image en bannière : Tiffany & Co « Stand For Love » campaign – 2021