Style
24 novembre 2016
Share
Jean-Christophe Charbonnier et ses parures guerrières
Soie, métal sculpté et façonné, or… Les armures japonaises s’apparentent à de véritables parures. Jean-Christophe Charbonnier, spécialiste mondialement reconnu et fournisseur des plus grands musées comme Guimet ou le Louvre d’Abu Dhabi, nous les décrypte.
Avoir une vision esthétique des armures de samouraï, est-ce un anachronisme ou le souci du beau était-il présent à l’origine ?
Pour nous, Occidentaux, l’art a une dimension ostentatoire liée au sacré. La civilisation japonaise, elle, conçoit aisément qu’un objet usuel, comme une cuillère à thé, puisse avoir une dimension artistique. L’utile n’oblitère pas le beau, a fortiori quand les objets sont conçus pour les gens importants de la société japonaise. Dans ces armes, rien n’est gratuit : toute ornementation a un sens.
Dans cet univers où les hommes ne portent pas de bijou, l’armure est le lieu par excellence de l’ornementation ?
Il y a en effet une dimension d’apparat. Elle se doit d’être le reflet du pouvoir, de la puissance politique, militaire et financière. D’où la somptuosité des brocards, des lacets de soie et des fils d’or. Mais c’est également une arme de défense. Pour posséder une armure, il faut avoir des chevaux et donc des revenus importants comme les daimyos, ces grands féodaux possesseurs de fiefs, qui passaient leur temps à se faire la guerre et dont la richesse est calculée en koku, c’est-à-dire en unité de production de riz.
Les armures de musée sont-elles des armures d’apparat ?
Il n’y a aucune différence entre les armures d’apparat et les autres. Toutes sont faites pour se défendre. Les armures japonaises sont faites pour résister aux sabres et aux arcs, des armes coupantes et tranchantes, alors que les armures occidentales doivent affronter des armes contondantes.
L’armure est la chose la plus précieuse car elle protège le plus important : la vie. D’où l’alliance entre technologie savante et formes.
Les casques sont d’une beauté stupéfiante.
Les formes abstraites, magnifiques, quasi conceptuelles, dégagent une force indescriptible. Le casque japonais, très ancien, a déjà l’ergonomie de ceux d’aujourd’hui, portés par les armées du monde entier. Comme il ne devait pas entraver le combattant, certains cimiers très hauts et composés d’éléments en laque, sont en fait très légers comme l’incroyable Kawari Kabuto.
Le casque est également vecteur de notions abstraites : sur un modèle de 1580, les deux éléments pointant vers le ciel figurent la queue d’une hirondelle, oiseau rapide et virevoltant symbolisant la rapidité d’intervention et la maniabilité dans la gouvernance des troupes. Sur un autre se dresse une libellule, cet insecte qui ne recule jamais et mange les autres, pour évoquer la capacité à faire face à l’adversaire.
Les Japonais sont des animistes qui interagissent avec la nature. Ils sont fascinés par les créatures à exosquelette (squelette externe) et à carapace : ce casque est orné d’imposants wadikate, des pinces de crabe laquées rouge et argent avec, à la base, des poils d’ours.
Cet art se caractérise notamment par la rencontre du très sophistiqué et du très brut, voire du sauvage. Certains fourreaux de sabre sont recouverts de fourrure de tigre, des fourreaux d’arc sont ornés de poils de sanglier. Ces derniers ne sont pas uniquement ornementaux, ils évoquent la déesse des guerriers représentée chevauchant un sanglier. Dans quelle autre culture pose-t-on une queue de poisson sur un casque militaire ?
Pour un néophyte, l’armure semble ne pas avoir varié pendant plusieurs siècles.
Elle n’a quasiment pas évolué depuis ses origines jusqu’à la fin du XVIe siècle. Faite d’écailles de métal, de soie et d’acier, elle est la meilleure protection possible. Le sabre, lui, n’a connu aucun changement structurel depuis le XIIe siècle. Seule l’apparition de l’arme à feu au XVIe siècle, a obligé à remplacer les écailles par des plaques de métal horizontales, plus protectrices. Ces dernières peuvent être laquées, exceptionnellement recouvertes de galuchat ou d’écailles factices reproduisant l’aspect traditionnel.
Traditionnellement les grands seigneurs, les généraux, chargeaient à la tête de leurs troupes. À partir du XVIe siècle, le feu des arquebusiers les obligeant à rester en arrière, ils se mirent à porter des casques spectaculaires visibles de loin par leurs troupes qui sont aujourd’hui ma spécialité. Ensuite, les armures n’évoluent plus jusqu’au XIXe siècle.
Qu’est-ce qui vous fascine tant dans ces armures ?
Leur part d’ombre et de lumière. Le paradoxe entre leur raffinement, leurs ornementations et le fait qu’elles aient servi à tant de cruautés. C’est ce qui leur confère cette puissance et cette force.
Propos recueillis par Ludovic Leonelli.
Galerie Jean-Christophe Charbonnier
Armes, armures et objets d’art du Japon
52, rue de Verneuil – 75007 PARIS
+33 (0)6 62 18 02 99
www.artdujapon.com