Style

16 octobre 2024

Sculptures faciales, extension du domaine du bijou 

Depuis longtemps, le bijou ne se résume plus à de simples bague, collier, bracelet et boucles d’oreilles. Mais le dernier bouleversement provoqué par des sculptures faciales et des masques-parures, est particulièrement spectaculaire.

Par Sandrine Merle.

 

 

Ces bijoux hors catégorie, couvrant partiellement ou complètement le visage et se prolongeant même en parure de tête, ont fait l’objet d’une exposition lors de la dernière édition d’Homofaber, la biennale des métiers d’art qui a lieu à Venise. Des dizaines de modèles étranges s’alignaient dans la pénombre de la piscine sur l’île San Giorgio… En réalité, ils ont commencé à faire parler d’eux en 2020, COVID oblige : Tilda Swinton assiste alors à la Mostra de Venise, dissimulée derrière une curiosité en métal doré et ajouré évoquant selon son créateur, James T. Merry, « un squelette de raie ou des algues ». Bienvenue dans le registre du cyborg, de l’anthropomorphisme, de l’hybride d’humain, du végétal et d’animal. Tour à tour poétiques, théâtraux, surréalistes, effrayants, ces nouveaux bijoux ressemblent à une cagoule de lutteur, une tête de minotaure, un masque antiatomique ou funéraire, une paire de lunettes XXL ou encore une bulle. Des réminiscences mythologiques, des contes folkloriques et des récits fantastiques s’immiscent. Ces sculptures faciales frôlent le morbide avec la présence d’un bec, de faux yeux écarquillés, d’un trou pour un seul œil ou même, l’absence de trous pour voir. On n’est pas dans Eye Wide Shut, l’érotisme étant quasiment absent.

 

Des facies richement décorés

À cette étrangeté des formes, répond l’immense éventail de matières, de textures et de couleurs. Les associations paraissent parfois absurdes… Ces faciès dépourvus de genre convoquent perles, plumes, fibres végétales, agar-agar, tissu, laine mohair, latex, dentelle mais aussi des éclats de céramique, des petits jouets, des pièces électroniques, des micro-boîtes dorées récupérés dans des brocantes ou dans la rue. De son côté, Pierre-Louis Graizon utilise du feutre recyclé orné de pierres précieuses, d’aiguilles de montre. Il applique à la miction de l’or 24K pour révéler les aspérités des matériaux absorbant la lumière comme l’osier et le feutre. Muriel Nisse associe de véritables cheveux longs, dont des gris, à des sequins scintillants et à de la dentelle. Asya Kozina sculpte du papier blanc découpé au laser. Dans un délire chromatique, Dimitri Shabalin agglomère des jouets en plastique, des morceaux de chaîne, des yeux de poupée, des figurines japonaises, des montres. Giacomo Benavati tricote, lui, un fil métallique.

 

Une démarche iconoclaste

Présente dans les musées et les galeries, cette pratique relève aujourd’hui du manifeste, elle explore l’inconscient et pose mille questions sur la transformation, les constructions sociales, l’identité non conformiste, le désir d’échapper à la réalité, la mise en scène de l’identité, etc. Plusieurs créateurs se présentent sous des pseudonymes : celui de la norvégienne Magnhild Kennedy est Damselfrau (mademoiselle-madame) contradictoire ; « il se masque lui-même », dit-elle. Jasmin Reif, originaire d’Allemagne, se présente, elle, comme Judas Companion et Adrien Monfleur comme BKY Walden. Ces créateurs pluridisciplinaires viennent de l’univers du maquillage, de la broderie, de la vidéo ; ils s’aventurent dans les mondes organique, architectural, scientifique, émotionnel et même sonore. Ils puisent dans les singularités de chacun pour inventer une grammaire esthétique. Muriel Nisse improvise ainsi en musique ce qui impact le rythme de ses gestes et donc la création finale.

 

Bijoux ? Sculptures faciales ? Masques ? Accessoires de mode ? Portable ou pas portable ? Pour eux, ces questionnements n’ont pas lieu d’être. Ils s’inscrivent dans la lignée de pionniers comme Martin Margiela qui dès 2012 fait défiler ses mannequins le visage entièrement couverts de strass mais également d’Alexander McQueen, d’Iris van Herpen (avec lesquels Judas Companion et James T. Merry ont collaboré) et de Rick Owens.

 

 

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