Style
09 février 2020
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Les sculptures capillaires de Marisol
J’ai vu dans la spectaculaire coiffe en cheveux tressés de Marisol, une évocation des poufs du XVIIIe siècle portés par Marie-Antoinette. A découvrir pages 24/25 de mon livre pour enfants, « Coiffes et Parures ».
Par Sandrine Merle.
Marisol est complètement habitée par sa matière. Elle ne se contente pas d’être la reine de la coupe sur cheveux secs ou d’avoir mis au point un blond aux nuances subtiles. Elle réalise aussi des accessoires inédits et des postiches spectaculaires. « Tout a commencé à la fin des années 90 lorsque j’étais directrice artistique chez Toni and Guy, se souvient-elle. Le soir, je repartais à la maison avec des sacs entiers de cheveux coupés. » Pour se détendre, certaines tricotent. Elle, assemble des mèches, les tisse et les tresse. Elle expérimente en les agglutinant, en les brûlant. Dans cette démarche artistique, la tresse revient comme le leitmotiv, clin d’œil à l’enfance et aux contes de fée.
Il faut oser…
Son travail est atypique et incroyablement audacieux. Il provoque l’étonnement et la stupeur car il faut oser utiliser les cheveux naturels ou synthétiques (parfois un mélange) pour réaliser des peignes, des barrettes mais aussi des bonnets et des sacs à main ! Cet attribut corporel est aujourd’hui associé à la disparition, à la maladie ou encore à la misère. Marisol, solaire et joyeuse, ne cherche pas à provoquer : « le cheveu, c’est la mort mais c’est aussi la vie ! » Rappelons qu’en Chine, les femmes Miao récupèrent leurs cheveux qu’elles ajoutent à leurs coiffes : ces dernières se transmettant de générations en générations, ils constituent une ligne de vie.
Cheveu sentimental
Marisol voit dans le cheveu une immense poésie : « il ne mérite sûrement pas d’être évacué en deux coups de balai dans une poubelle. » Dans ses deux ateliers-salons (dans le Marais et au Bon Marché), les murs sont tapissés de jolies cadres : sous le verre, des mèches blondes tressées, de mèches brunes retenues par un ruban de velours, etc. Derrière chacun se cache l’hommage à une grand-mère, à une amie en chimiothérapie, à une petite fille qui s’émancipe… Marisol renoue ainsi avec la tradition des ouvrages en cheveux au XIXe siècle (dont les bijoux) permettant de rappeler l’être aimé en l’absence d’image.
Cheveu conceptuel
Parmi ses réalisations, ma préférée est cette sculpture monumentale, somptueuse et ludique à la fois, réalisée avec des tresses en deux versions, en cheveux foncés ou clairs. Elle évoque une couronne brodée, une auréole, un pouf du XVIIIe siècle. Certains y verront aussi une coiffure ukrainienne. Les fans de mode feront, eux, le rapprochement avec la démarche conceptuelle de Martin Margiela que Marisol a côtoyé lorsqu’elle travaillait sur ses défilés. Le cheveu était omniprésent chez ce créateur belge dont le père était… coiffeur. Au début des années 2000, il retourne une perruque pour faire un top. Il en amoncelle aussi plusieurs pour obtenir une veste.
Marisol réalise un travail ingénieux, rare et extrêmement personnel digne d’une artiste. Dans le passé, le Vitra Museum et le Centre Pompidou ont d’ailleurs exposé sont travail comme tel. Elle réussit une synthèse parfaite entre art et tradition, passé et modernité, sens et esthétisme. Une beauté inédite. Une alchimie complexe. Le Graal de tout créateur.
Photo en bannière © Katrin Backes
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