Style

26 février 2020

« Bijoux Masculins : Signes et Insignes » à L’École des Arts Joailliers

Bien qu’ils aient une longue histoire, les bijoux masculins ont été peu étudiés. A travers l’art, les cultures et les époques, L’École des Arts Joailliers explore ce beau sujet.

Par Sandrine Merle.

 

 

Dans l’inventaire des bijoux masculins, on trouve comme dans celui de la femme, des bagues, des colliers, des chaînes et des boucles d’oreilles. Et les hommes n’ont pas hésité à s’en couvrir des pieds à la tête comme les souverains Henri VIII ou Gustave III de Suède parfaitement représentatifs de l’« homme paré » associé au paon faisant la roue. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXsiècle que s’opère un changement radical de style : les hommes se délestent de leurs bijoux car « l’aristocrate cède la place à un bourgeois d’une élégance plus discrète », explique Gislain Aucremanne professeur à L’École des Arts Joailliers. On passe « du paon au pingouin ».

 

Bijoux de pouvoir

Les bijoux masculins servent à afficher puissance, opulence et prestige. En Occident, les rois arborent de somptueux régalia, objets symboliques composés de la couronne, du sceptre, de l’épée ornée de pierres, de l’agrafe dit « fermail de Saint-Louis » et parfois d’éperons orfévrés et empierrés. Mais ce n’est jamais assez, more is more… Pour recevoir l’ambassade de Perse, Louis XIV revêt un gilet entièrement recouvert de boutons de diamants : « son habit était si pesant que le roi en changea aussitôt après le dîner », note un observateur. Maharadjas de Patiala, de Kapurthala, nabab d’Arcot, l’un des vassaux du Nizâm d’Hyderabad… En Inde, tous les princes, eux aussi, rivalisent de parures, de colliers en perles et en pierres auxquels s’ajoutent épée, baudrier, ceinture, boutons et ornement de turban, le sarpech.

 

Bagues, des éléments régaliens

La bague est l’élément régalien par excellence. Le doge de Venise, représentant de l’État, en recevait une en or qu’il jetait dans l’Adriatique lorsqu’il prenait sa fonction. Comme s’il se mariait avec la ville. Les mains des prêtres sont aussi parées de somptueux modèles comme celles de la collection Yves Gastou portée par le chef religieux Dogon au Mali ou créées par le joaillier Mellerio. « Ces dernières sont gigantesques car elles étaient faites pour s’enfiler par-dessus les gants », précise Gislain Aucremanne. Elles sont décorées de croix, de symboles de la passion du Christ et le choix des pierres répond à des codes bien précis : pour le Pape, une pierre blanche ou incolore (cristal de roche, diamants, etc.), pour le cardinal en robe pourpre une pierre rouge et pour l’évêque en violet, une améthyste.

 

Bijoux honorifiques, ordre et couronne

Les bijoux masculins marquent la récompense, le triomphe ou la gloire. Dans la Grèce antique, poètes et sportifs se voyaient décerner une couronne de feuilles de laurier (attribut d’Apollon) en or, une bacca laurea à l’origine du mot baccalauréat. En 1430, pour honorer ses proches, Philippe Le Bon est le premier à créer un Ordre, celui de la Toison d’Or reconnaissable au collier composé d’une alternance de motifs fusil et pierre à feu, et au pendentif corps de bélier. Louis XI réplique en créant l’ordre de Saint-Michel caractérisé par un collier de coquilles Saint-Jacques et un médaillon représentant l’archange terrassant le dragon. Il y eut aussi l’ordre du Saint-Esprit avec une croix de Malte et une colombe, portées sur un ruban bleu, l’ordre la Jarretière ou encore l’ordre de la Légion d’Honneur créé par Bonaparte et qui subsiste toujours.

 

Bijoux politiques, témoins de l’histoire

Les bijoux masculins sont des témoins de l’histoire. Au moment de la Révolution, ils ont été nombreux à exprimer des idées politiques, plus ou moins ouvertement. Les anneaux fleurdelisés portant la devise royaliste sont sans équivoque tout comme ceux où figurent, en 1792, les portraits des trois « martyrs de la liberté » : Danton, Marat et Lepeletier de Saint-Fargeau. En revanche, il faut actionner un mécanisme pour ouvrir le chaton de la bague commémorative représentant un tombeau : à l’intérieur y étaient soigneusement cachés quelques-uns les cheveux de Louis XVI. Les bijoux séditieux invitant à la révolte et au soulèvement ne sont pas non plus lisibles immédiatement : c’est seulement en soulevant une frange de perles d’une épinglette, créée vers 1830, qu’on peut lire VHV autrement dit « Vive Henri V ».

 

Piercings, entre infamie et féminité

Le piercing a eu de nombreuses significations, ce qui n’est pas le cas chez les femmes. Au Moyen-Âge, percer son corps est un signe d’infamie. Sur le tableau « Le Christ devant Pilate », les mauvais sont donc stigmatisés par des anneaux dans les joues, le nez et les lèvres. Porté à l’oreille, l’anneau marque aussi l’étranger, comme le roi Mage, ou l’appartenance à un groupe que cela soit à celui des Grognards (soldats de la garde de Napoléon) ou à celui des Compagnons. Très petit, le leur se nomme joint et peut être orné de pendentifs représentant un métier. « On raconte que marins et pirates comme Corto Maltese perçaient leur oreille pour avoir une meilleure vue : en réalité, leur anneau permettait de payer des obsèques s’ils venaient à mourir loin de leur pays », explique Claudette Joannis spécialiste du bijou. La boucle d’oreille masculine a aussi été vue comme l’emblème d’une certaine féminité portée par Henri III ou plus récemment dans les années 80-90.

 

Cannes et chevalières

Au XIXe siècle, les codes de l’élégance masculine préconisent le minimum de bijoux. Oscar Wilde, Honoré de Balzac, Huysmans : dandys, écrivains, journalistes ne portent souvent qu’une canne ornementée et une chevalière gravée de leurs armoiries. Cette dernière incarnant la filiation dans les pays de loi salique où le titre se transmet par voie masculine. Gare à celui qui enfreint ces codes ! Colette fustige ainsi le chroniqueur mondain Jean Lorrain : « Ce qu’il portait sur lui était de mauvais goût. Il se satisfaisait de joyaux économiques, de gemmes troubles, calcédoine ou chrysoprase, opale et olivine. De grosses bagues en or torturé qui n’étaient pas montrables et qu’il montrait. » Au XXe siècle, les bijoux masculins se réduisent encore : ne subsistent qu’une montre gravée d’initiales ou de messages (comme la « Reflet » de Boucheron offerte par Édith Piaf à chacun de ses amants) et à une alliance. L’une des plus populaires, la Trinity de Cartier composée de 3 anneaux est devenue célèbre grâce à Cocteau qui l’aurait offerte à son ami Radiguet.

 

Signes de rébellion

Le bijou masculin est aussi synonyme de contre-cultures punk, grunge, etc. Sur leurs grosses cylindrées, les Hell’s Angels (Anges de l’enfer) en blouson de cuir et tatoués ne jurent que par les chaînes et les grosses bagues figurant des anges funéraires, des ailes de chauve-souris ou des têtes de mort, leur emblème. Ces dernières deviennent de véritables armes lorsqu’elles sont hérissées de pointes ou prennent toute les phalanges comme des coups de poing américains. Tous ces bijoux sont détournés par les rockers et notamment ceux figurant un crâne, memento mori rappelant la finitude de la vie. Très célèbre, la bague en argent de Keith Richards, est exactement calquée sur la morphologie du sien.

 

Aujourd’hui, les défilés ainsi que le succès de certains bracelets comme Force10 de Fred montrent que les hommes renouent avec les bijoux. Et honni soit qui « mâle » y pense.

 

Photo en bannière : Baguier, années 1970 © Collection Yves Gastou – Albin Michel, photo Benjamin Chelly

 

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