Style
15 juin 2023
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Le renouveau du bijou de mode : un délire salutaire
Dans le bijou, on cherche l’étonnement, la surprise. On le trouve rarement. Des créateurs de bijoux de mode relèvent ce défi. Pourvoyeurs d’une esthétique étrange, casseurs des codes du bon goût, adeptes de gender fluidity, exubérants, ils maîtrisent les process technologiques et les nouvelles matières. Un uppercut : adeptes du minimaliste et esprits de sérieux s’abstenir.
Par Sandrine Merle.
Panconesi
Il est l’incontestable chef de fil de cette mouvance. Aujourd’hui à la tête du design chez Swarovski, il a été pendant des années le créateur (anonyme) des bijoux de mode spectaculaires chez Givenchy, Peter Pilotto, Balenciaga, Mugler, Fendi ou encore Fenty de Rihanna (cf. les néo camées). Pour sa propre marque lancée en 2018, le parti pris est tout aussi puissant. Son bijou préféré : les créoles, déclinées à l’infini. La Serpent en émail camouflage s’enroulant sur elle-même rappelle les piercings tribaux. La « Blow Up » se dédouble. Une autre boucle d’oreille est formée par trois bagues sentimentales : chevalière, solitaire et alliance. Immense, la « Up Side Down » devient une auréole d’oreille. Toutes s’accumulent pour des ear parties inédites. Elles se mixent aux big bangs de pierres sur des tiges en métal doré ou les entrelacs constellés de boules de malachite, de cristaux, etc. Déformation de la beauté naturelle et organique, esthétique déroutante : grâce à des bijoux de main, de visage et de tête, le corps semble envahi par une inquiétante végétation.
Roussey
À l’origine de la marque Roussey lancée il y a à peine 3 ans : la fascination de Yann Tosser-Roussey (formé au studio Berçot puis chez Kenzo et Hermès) pour l’impression 3D. « Cette technologie est au centre du processus de création », explique le designer qui a grandi avec MTV et Britney Spears. C’est cette technologie qui l’a amené à la matière, la PLA. Les couches de filaments de ce polymère à base de déchets végétaux, en l’occurrence le maïs, créent un effet unique, rayé, brossé comme pourrait l’être de l’or. « Pour l’instant, je suis encore contraint par les couleurs existantes et le process qui nécessite des maquettes d’architecture : les pièces ne sont pas reproductibles à grande échelle », explique le designer. Elles évoquent des spoutniks, d’autres semblent avoir été réalisées à partir de dominos électriques. Comme la matière n’est pas injectée dans un moule, l’intérieur est creux : extrêmement légère, elle permet des volumes énormissimes ; les créoles en forme de cœur hypertrophiées sont ainsi plus grosses que la tête. Dément.
Hugo Kreit
Diplômé en design industriel, Hugo Kreit a été scénographe pour Hermès et Bureau Betak (défilés Christian Dior, Jacquemus, etc.). Les influences fonctionnelles, visuelles et musicales de ces univers infusent son travail. Dès sa première collection de bijoux de mode, il présente une sublime fleur en polymère chromé hybridant codes Art nouveau et emojis. Sont ensuite venues des boucles d’oreilles cœurs hérissées de piques, des créoles, des bagues bubble gum démesurément grandes, en résine, en laiton argenté, ornés de grosses pierreries très XVIIIe siècle. Les chaînes et les épingles à nourrices s’emmêlent ; le collier de chien en boules argentées punk se ferme par un joli ruban de satin noir retombant dans le dos. Après sa collaboration avec le label Poster Girl (connu pour ses bodys, mini jupes cut out, en dentelle et paillettes apparaissant dans la téléréalité anglaise), le voilà aux côtés du directeur artistique de Nina Ricci, Harris Reed. Kreit navigue entre le beau et laid, le monstrueux et le merveilleux.
Image en bannière : Roussey