Style

09 décembre 2019

Les matières précieuses de l’Art Déco

Jade, diamant, laque, bois exotiques et galuchat : ces matières précieuses, venues d’ailleurs, firent vibrer les créations de style Art déco dans les années 1920 et 1930. Et pas seulement dans la joaillerie.

 

 

Souhaitée depuis une dizaine d’années, l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes devait servir à relancer, quelques années après la fin de la première guerre mondiale, la puissance culturelle de la France et le goût des arts. Mission plus que réussie : entre avril et octobre 1925, les 1 000 exposants voient défiler presque 6 millions de visiteurs. Le retentissement est mondial. Elle donne son nom, de manière rétrospective, à un style : l’Art déco qui va perdurer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ce style en réaction contre les excès de l’Art nouveau a été résumé à des lignes géométriques et symétriques, à des couleurs vives et franches. Mais il est bien plus complexe que ça, il se nourrit de multiples influences. Il est étonnant d’y voir des références au XVIIIe siècle français et à des civilisations lointaines. Dans une France coloniale, l’Art déco a une prédilection pour l’ailleurs : l’Égypte, l’Inde, la Chine et du Japon.

 

Commençons par le pavillon de l’Ambassade française…

L’Art déco fait la part belle aux collaborations. Dans le Pavillon de l’Ambassade, André Groult, Marie Laurencin ou encore Pierre Chareau travaillent ensemble sous la direction d’un ensemblier : en l’occurrence le grand Jean Dunand, figure emblématique de l’Art déco. Ils y promeuvent des matières rares et donc précieuses. Le chiffonnier (meuble haut à tiroirs dans lequel les dames rangeaient leur ouvrage) aux formes galbées d’André Groult attire l’attention sur le galuchat couleur de peau. Il est d’une indécence… On sent les seins, le ventre, les hanches. « Ce matériau très à la mode tient son nom de Jean-Claude Galuchat, un gainier du 18e siècle, installé quai de l’Horloge. Il est constitué de peaux de requin et de raie pêchés dans les mers du Sud puis tannées », précise Béatrice Vingtrinier historienne de l’Art et Professeur à L’École des Arts Joailliers. Très prisé de designers comme Paul Iribe, le galuchat finira pourtant aux oubliettes ou presque. Trop difficile à travailler, trop luxueux !

 

… puis passons par l’hôtel du Collectionneur

Dans cette demeure d’un collectionneur imaginaire, plusieurs artistes ont œuvré dont Bourdelle pour les sculptures, François Décorchemont pour le fabuleux lustre en verre ou encore Puiforcat pour le travail du métal. Dans le boudoir, la préciosité de la marqueterie met en lumière le bois de palmier venu du Gabon travaillé avec de l’acajou, l’ébène de Macassar d’Indonésie est incrusté d’ivoire. A lui tout seul, l’ivoire symbolise l’une des influences majeures de l’Art déco : l’Afrique. C’est la grande mode du jazz et la renaissance d’Harlem. Picasso découvre cette civilisation grâce à son ami André Derain grand collectionneur de masques du Gabon. L’une des plus ferventes ambassadrices est la très riche héritière, Nancy Cunart qui publie une anthologie de 150 auteurs afro-américains. Sur les portraits très connus de Man Ray, elle pose parée de ses colliers en ivoire ou les bras chargés d’une accumulation de bracelets en bois.

 

Échanges et collaborations dans l’Art déco  

Dans cette demeure imaginaire d’un collectionneur, on découvre les meubles laqués de Jean Dunand. La laque (également utilisée pour les taches rouge orangé de son collier « Girafe ») est l’un des matériaux les plus emblématiques de l’Art déco. Elle vient du Japon : « Jean Dunand s’est formé auprès d’un très grand laqueur, Seizo Sugarawa, comme avant lui la décoratrice Eileen Grey. Cette technique requiert une patience folle, c’est un long travail de superposition de couches qui doivent sécher pendant des heures », explique Céline Gaslain-Leduc docteur en histoire de l’art et Professeur à L’École des Arts Joailliers. Pour ses boîtes, étuis à cigarettes et autre poudrier, les joailliers Lacloche utilisent énormément ce matériau qui peut aussi être burgauté, c’est-à-dire incrustée de nacre ou de coquille d’œuf.

 

Dans le pavillon de l’Élégance

Là, on admire le travail des couturiers comme Worth (le premier à griffer ses robes), les Sœur Callot et surtout Jeanne Lanvin. Cette dernière excelle dans les robes-bijoux typiques des années Folles : droites, sans manches et couvrant à peine le genou. Elles sont coupées dans de nouveaux tissus, très fins et fluides rebrodés de perles de verre, de tubes d’argent ou d’or. Ils font office de bijoux car pas question d’y accrocher une broche qui, à coup sûr, les abîmerait ! De nouveaux bijoux apparaissent donc comme les bracelets portés en accumulation ou les sautoirs, ces longs colliers qui s’agitent au moindre mouvement. Présentée à quelques pas, la parure « Bérénice » présentée par Cartier est parfaitement adaptée : ce bijou d’épaule, sans attache, se drape sur le décolleté et retombe dans le dos. Au centre, l’émeraude gravée de 141 carats, rapportée de Colombie par les Conquistadors, est, une fois encore, synonyme d’exotisme.

 

Le style Art déco chez les joailliers

La trentaine de joailliers français qui participe à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes provoquent un feu d’artifice de matières précieuses ! On admire le travail du jade, du cristal de roche poli sur des boucles d’oreilles de Suzanne Belperron, créatrice de la maison René Boivin. Lors de cette exposition, Mauboussin obtient une médaille d’or notamment grâce à son travail de pleins et de vides sur le diadème en platine et diamants taillés en baguette (la nouvelle taille à la mode). Chez Van Cleef & Arpels, le diamant est combiné à des rubis, de l’onyx et des émeraudes figurant des figures égyptiennes inspirées par la découverte du tombeau de Toutankhamon, en 1922. Cette dernière provoque également de nouveaux mélanges de couleurs à base de cornaline, de turquoise et de lapis-lazuli, en rupture totale avec les codes traditionnels du bon goût !

 

Un déferlement de pierres précieuses de couleur

Trois ans après cette exposition de 1925, les maharadjas, héritiers des empereurs moghols, débarquent à Paris avec leurs coffres débordant de pierres précieuses de couleur : saphirs, rubis, émeraudes gravées, perles… Tous veulent les faire remonter selon le goût européen, c’est-à-dire sur du platine et des sertis à griffes. Inversement, les joailliers français s’inspirent de leurs techniques comme le kundan, une technique d’incrustation de la pierre dans de l’or, du jade, du cristal de roche grâce à des feuilles d’or repliées sur elles-mêmes et amalgamées pour former un serti clos. Cartier réemploie des éléments de bijoux indiens sur des montures contemporaines : une bazuband (bracelet de bras traditionnel) devient ainsi une broche.

 

Presqu’un siècle plus tard, l’influence de l’Art déco perdure dans les collections des joailliers. Le créateur contemporain Viren Bhagat a même inventé un style « Indian déco » : il le mixe avec des codes du bijou indien comme les pierres « miroir », c’est-à-dire plates ou la figure du paon. Éternel Art déco.

 

Autres conférences de L’École des Arts Joailliers :

Marchands de perles, une saga commerciale 

(Re)découvrir les joailliers Lacloche

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