Itinéraires joailliers

22 juillet 2021

La Pala d’Oro de la basilique Saint Marc avec Alberto Nardi

Parmi les trésors de la Basilique Saint Marc, le plus précieux est la Pala d’Oro, retable d’or d’une facture et d’une richesse exceptionnelle. J’ai eu la chance de le redécouvrir avec un connaisseur, le joaillier vénitien Alberto Nardi.

Par Sandrine Merle.

 

 

Diplômé en histoire de l’art et gemmologue, le joaillier vénitien Alberto Nardi a eu l’immense privilège d’étudier la Pala d’Oro.  » Mon professeur d’art byzantin voulait comprendre si les pierres de couleur avaient été choisies et agencées pour une signification théologique ou seulement par souci esthétique », explique-t-il. Pendant un mois, tous les soirs il grimpe sur son échafaudage pour examiner chacune des 1 927 saphirs, émeraudes, grenats, perles, améthystes, calcédoines, etc. « Je passais toute la nuit, seul, les lumières éteintes… Que vous soyez croyant ou non, c’est extrêmement troublant. »

 

La Pala d’Oro

Dissimulé derrière le maître-hôtel, ce travail d’orfèvrerie extravagant de raffinement (3,34 mètres de long sur 2,12 de haut) a été commandé aux artisans de Constantinople en 916. Quand la ville était la porte entre l’Orient et l’Occident… Faite de bois, d’or, d’argent, de pierres précieuses et d’émail cloisonné, elle pivote vers les fidèles pendant les grandes fêtes religieuses : ils peuvent alors admirer des scènes de l’évangile sur la partie supérieure et dans la partie inférieure, des saints autour du Christ Pantocrator, le Christ créateur du monde. En dessous, l’impératrice byzantine Irène, la Vierge et le Doge Falier qui a fait enrichir ce retable en 1105.

 

Le travail d’émail cloisonné

L’or filigrané, repoussé, estampé, granulé fait écho aux 8 000 m2 de mosaïques dorées tapissant les murs. Les émaux cloisonnés sont, eux, l’un des plus beaux exemples au monde de ce travail typiquement byzantin. Translucides, ils fonctionnent comme des vitraux laissant passer la lumière qui semble alors venir de l’extérieur. De quoi sublimer la puissance du Christ en majesté, assis, bénissant de la main droite et tenant la bible dans la main gauche. À l’origine, la Pala d’Oro ne présentait pas autant d’émaux : par exemple, les grands émaux représentant les six fêtes de l’église orientale proviendraient du butin de la IVe croisade à Constantinople en 1204.

 

1 927 pierres précieuses

Lors de la dernière modification (réalisée par l’orfèvre vénitien Boninsegna) en 1342, la Pala d’Oro prend son aspect actuel. Sur fond d’or, associées à la technique de l’émail, les pierres précieuses évoquent alors la splendeur de la Jérusalem céleste telle que décrite dans la Bible. « Notez qu’il n’y a aucun diamant car au Moyen-Âge et à la Renaissance, la couleur primait. La préciosité n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui », explique Alberto Nardi. Ces pierres soulignent et attirent le regard sur des éléments comme les saphirs sur le livre tenu par le Christ : ils remplacent les paroles de l’Écriture Sainte soulignant ainsi la préciosité de ces dernières.

 

Spirituel ou esthétique ?

« Mon professeur d’art byzantin a conclu que les pierres avaient été choisies pour des raisons théologiques. Selon moi, la réponse est plus nuancée », explique Alberto Nardi. Ceci dit, ce dernier regrette que le retable ait perdu de sa spiritualité au XIXe siècle quand la municipalité de Venise a remplacé les pierres volées en 1797 par les soldats de Napoléon. « On les repère immédiatement car elles sont facettées alors que toutes les autres, sont polies. Certaines sont même en verre », détaille ce puriste. Cela n’empêche pas la Pala d’Oro de continuer à subjuguer ses visiteurs.

 

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