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09 octobre 2024

Les Mouzannar, une histoire de famille

Alors que Selim Mouzannar vient d’accueillir son premier petit-fils, dans un Liban à nouveau en guerre, il revient sur la notion de filiation, centrale dans l’histoire de sa marque.

Par Sandrine Merle.

 

 

Une enfance dans le souk des joailliers

Aujourd’hui, les souks historiques de Beyrouth n’existent plus… Les bulldozers des promoteurs immobiliers dans les années 80 puis la guerre civile de 2006, ont eu raison des anciennes écuries de l’armée turque avec ses voûtes anciennes, ses grands portails, ces immenses allées bordées de boutiques où se pressaient les visiteurs. Car c’était le lieu le plus fréquenté par les étrangers de passage et notamment, durant les années de gloire du Liban par les pèlerins de tout bord Chretien, Juifs et Musulmans se rendant à Jerusalem et la Mecque. C’est là, que l’histoire de Selim a commencé. « Je suis issu d’une famille très ancienne de bijoutiers : au 19e siècle, ma famille de grecs chrétiens Byzantins Catholiques, originaire de Damas, entretenait des relations étroites avec le gouvernement de l’Empire ottoman dont elle frappait la monnaie. En 1860, alors qu’une flambée de violence éclate contre le quartier chrétien de la ville, mon arrière-grand-père, ainsi que son frère, fuient à Beyrouth. » En installant leurs échoppes dans ces anciennes écuries, ils fondent ce qui deviendra le souk al-sagha, le souk des bijoutiers. La génération suivante (le grand-père et le grand-oncle de Selim, nés en Syrie) ouvre un magasin à chacun des 5 fils : ainsi à la veille de la première guerre mondiale, sur 100 magasins du souk des bijoutiers, 17 appartenaient à des Mouzannar.

 

Père et fils, la même passion des pierres

« En 1949, mon père Jacques allait jusqu’à Idar-Oberstein en Allemagne, acheter ses pierres pour quelques modèles qu’il répétait à l’infini. Il était marchand avant d’être gemmologue et créateur, ce qui pouvait m’agacer. Mais malgré lui, alors que je voulais être journaliste, il m’a initié au monde des pierres. Elles me parlent… Dire qu’une pierre est belle parce qu’elle est pure me semble d’une incroyable violence, cela équivaut à dire qu’elle est sans âme. J’estime que l’homogénéité de la couleur et son incroyable réflexion peut aussi être synthétique. J’aime infiniment leurs inclusions, ces témoins indélébiles permettant de les reconnaître. » En tant qu’aîné d’une de ces familles très conservatrices de joaillier, il est conditionné pour reprendre le flambeau… Mais il rompt avec « cette culture de souk et cet héritage » pour créer son atelier, seul, en 1993. Aujourd’hui, Selim Mouzannar fait partie des joailliers les plus talentueux et les plus appréciés dans le monde. Il compte une trentaine de points de vente dont sa boutique ouverte en 1999, dans le quartier d’Achrafieh. Présent dans six pays, il emploie 35 personnes.

 

Et voilà la 6e génération !

Sur cette photo prise à la fin des années 2010, Selim se trouve avec son père Jacques et son fils Namir ; la 3e génération des Mouzannar est entourée de la 4e et la 5e. Sur la seconde, quelques années plus tard, Selim travaille dans son atelier avec ses enfants, Namir et Ranwa. Entre temps, ces derniers l’ont rejoint dans la société après un parcours scientifique pour l’un, en marketing hôtelier pour l’autre. Il y a quelques années, Selim m’assurait pourtant ne pas être attaché à la transmission, croire plus à l’acquis qu’à l’inné… « Contrairement à mon père, je n’ai jamais exercé de pression sur mes enfants qui m’ont toujours vu travailler de loin ; j’ai sans doute refoulé ce désir », reconnaît-il. Et cela a probablement eu l’effet inverse, comme s’en amusent ses enfants. Namir après sa license en mathématique à King’s College, a finalement passé une année à la Haute École de Bijouterie puis obtenu des diplômes en diamants et en pierres de couleur au GIA. Aujourd’hui, il teste les pierres, il les négocie et achète dans les foires internationales. Ranwa a, elle, d’abord fait ses armes à Londres, à la communication et au marketing du groupe Aman. Aujourd’hui, basée à Paris, elle a la charge de ces deux secteurs stratégiques pour la société : son rôle est majeur en plein développement à l’international, dans un contexte ultra concurrentiel. Dans les heures tragiques que connaît à nouveau le Liban, elle vient tout juste de donner naissance à un petit garçon. La 6e génération des Mouzannar vient d’arrriver !

 

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