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09 décembre 2024
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Léonard Rosenthal « le roi de la perle fine », raconté par Léonard Pouy dans le livre « Paris, capitale de la perle »
Lors de mon entretien avec Léonard Pouy, auteur du remarquable livre « Paris, Capitale de la perle » (aux Éditions Norma) et commissaire de l’exposition éponyme à L’École des Arts Joailliers, j’ai voulu en apprendre davantage sur l’un des personnages centraux : le flamboyant marchand Léonard Rosenthal.
Sandrine Merle. Le marchand Léonard Rosenthal est, au début du XXe, siècle un acteur majeur de votre ouvrage consacré à l’histoire de la perle fine c’est-à-dire naturelle. Il a aussi son gigantesque portrait dans l’exposition. Pouvez-vous nous le présenter ?
Léonard Pouy. Tout jeune homme, il débarque de Grozny à Paris au début du XXe siècle, sans le sou, connaît une ascension fulgurante et une chute vertigineuse. Dans les années 1910, Léonard Rosenthal devient l’une des figures les plus riches et puissantes de Paris grâce au commerce florissant de la perle fine dont la valeur a détrôné le diamant. Il fournit les joailliers parisiens en perles achetées d’abord au Venezuela puis dans le Golfe Persique où en 1906, il profite de la crise économique en Angleterre pour s’imposer face aux Anglais historiquement établis. Soixante mille plongeurs dépendent alors de lui. Grâce à sa fortune acquise dans le commerce des perles fines, il étend son influence dans la capitale comme promoteur, il finance les Arcades des Champs Élysées et une partie de projets d’urbanisme comme le Plan Voisin de Le Corbusier ou encore celui de la Porte Maillot qui ne verront jamais le jour. Il produit aussi un film de Sergueï Eisenstein. Et en quelques mois, tout s’écroule. La raréfaction des perles fines liée à l’exploitation pétrolière, l’irruption de la perle de culture, la crise de 1929 mais également son goût du risque, son penchant pour le jeu et pour les femmes, participent à sa perte. Il pensait que ses nombreuses décorations, son statut et sa fortune lui éviteraient la déportation pendant la Seconde Guerre Mondiale, ce qui ne fut pas le cas : il est obligé comme des dizaines de milliers de Juifs de s’enfuir aux États-Unis.
Sandrine Merle. Ses frères cadets Adolphe et Victor sont des aventuriers qui participent à son épopée.
Léonard Pouy. Léonard Rosenthal a rapatrié sa famille dont Victor qui s’avère particulièrement important. Parlant couramment l’arabe, il se rend dès 1906 à Bahreïn où il court-circuite la chaîne traditionnelle d’approvisionnement composée de multiples intermédiaires. Dans ses mémoires, Léonard Rosenthal raconte la façon dont son frère a rusé pour impressionner les pêcheurs et les inciter ainsi à leur réserver la meilleure marchandise : il a débarqué de son bateau 50 ânes portant apparemment sa fortune convertie pour l’occasion en pièces de menue monnaie. Il prospère là-bas malgré la concurrence, la première guerre mondiale et les réseaux d’espionnage. Après avoir vécu au Venezuela, Victor s’installe à Bombay. Et sous son costume trois pièces, son corps est entièrement tatoué ce qui à l’époque n’est pas une histoire de mode ! Pour ceux que ces vies hors du commun intéressent, je conseille l’excellent roman de sa petite-fille Nicole Landau, La Perle de Blanca, retraçant cette saga familiale.
Sandrine Merle. Vous dites que Léonard Rosenthal a construit sa propre légende et que tout ce qu’il écrit n’est pas à prendre au pied de la lettre.
Léonard Pouy. Il veut en effet être reconnu comme le grand marchand international, ce qu’il est vraiment comme j’ai pu le constater dans les archives du golfe. Il écrit très tôt sa propre histoire notamment dans « Faisons fortune » (1924) ou encore « L’Esprit des affaires » (1925). À le lire, il se rend à Bahreïn toutes les trois semaines en avion postal alors qu’en fait il y envoie ses frères. Et contrairement à ce qu’il laisse entendre, il n’est ni le seul marchand de perles, ni le seul à posséder un immeuble rue La Fayette. Bienenfeld, auquel est apparenté Georges Perec, est une figure tout aussi importante et romanesque. Citons également Armand Citroën (frère du constructeur automobile) ou encore Léon Hatot dont la maison disparaît après sa déportation en 1939.
Sandrine Merle. Je ne résiste pas à évoquer un autre personnage de cette histoire, Albert Londres auquel vous consacrez le chapitre intitulé « À ce prix, Mesdames ».
Léonard Pouy. Le journaliste Albert Londres veut être le premier occidental non-musulman à visiter la Mecque. Il n’y parvient pas et se retrouve sur les bords de la mer Rouge où il s’intéresse aux perles qu’on y pêche. On lui conseille de se rendre à Bahreïn où il est émerveillé et terrifié par les conditions de vie des esclaves-plongeurs. À la manière d’un lanceur d’alerte, il réalise alors le reportage intitulé « À ce prix, Mesdames. », un équivalent ce qui s’est passé avec Di Caprio et les diamants de sang. Il contribue ainsi à la chute de la perle fine et à l’émergence de la perle de culture qui apparaît alors comme une solution.
Sandrine Merle. Cette histoire passionnante ne s’arrête pas avec Léonard Rosenthal : sa descendance a joué un rôle important dans le négoce parisien.
Léonard Pouy. Son fils Jean Rosenthal, grand résistant et négociant en pierres, a invité Joseph Kessel dans les mines de Birmanie. Ce voyage lui a inspiré le célèbre livre La Vallée des Rubis. Ses petit-fils Hubert Rosenthal et son arrière-petit-fils Cyril, sont toujours présents à Tahiti où les Rosenthal ont lancé l’une des premières fermes perlières en 1968. C’est d’ailleurs Léonard Rosenthal lui-même qui l’a financée car, ironie de l’histoire, il a refait fortune grâce au commerce de la perle de culture qu’il a tant décriée dans ses articles et qui a, en partie, causé sa perte. J’ai tenu à souligner ce lien avec Tahiti en exposant le collier de Samuel Fred : sans les marchands français, ces perles n’existeraient peut-être pas. Pour finir, je préciserai que parmi les négociants de perles fines qui ont survécu à l’holocauste, certains se sont lancés dans le commerce de la perle de culture qui connaît un grand succès à Paris dans les années 80. Il reste tant à explorer sur ce sujet, nous n’en sommes encore qu’aux prémices.
« Paris, Capitale de la perle » de Léonard Pouy avec la contribution d’Olivier Segura et Charline Coupeau, aux Éditions Norma.
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